Sept ans après son adoption, la loi de pénalisation des clients grandit toujours sur un terreau de violence, de précarité et de peur. Au moment où les mobilisations contre la réforme des retraites battent leur plein, nous, travailleurSEs du sexe, nous sentons privéEs d’avenir : comme à chaque moment charnière des luttes politiques et sociales, les voix des acteurICEs de l’économie informelle, des travailleurSEs précaires, des personnes migrantes, des personnes trans sont étouffées avec virulence.
Le volet « social » de la loi de pénalisation des clients prétend sortir nous de la prostitution, mais factuellement ne fait que nous rendre encore plus vulnérables et précaires. Voilà l’avenir que l’abolitionnisme nous réserve.
Sous le prétexte, fallacieux, d’écraser la demande de prostitution, ce sont les travailleurSEs du sexe que l’on écrase.
Pour le féminisme d’Etat, les idéologies passent, encore et toujours, avant les personnes : l’idée de dignité doit prévaloir sur les droits humains, quoi qu’il en coûte. Et le coût de cette idéologie est lourd : nous la payons cher, l’utopie abolitionniste.
Nous la payons parfois de notre vie. Nous la payons de notre santé. De notre sécurité. La loi de pénalisation des clients n’a jamais fait ses preuves : elle est un recul en termes de droits humains. Des travailleuses du sexe sont battues, menacées, expulsées, tuées tous les jours.
Le « système prostitutionnel » serait violent par essence, alors il faudrait y répondre par la violence ; mais c’est précisément cette politique de « l’œil pour œil » qui nous dépouille de toute dignité. Il n’y a pas de rationalité politique dans la manière dont les lois sur la prostitution sont mises en œuvre : les politiques publiques en matière de travail sexuel ne sont pas pragmatiques. Elles ne nous logent pas. Elles ne nous nourrissent pas. Elles ne nous protègent pas.
Elles exposent les soi-disant « victimes » à des violences inouïes, sous l’étendard bien confortable du féminisme universaliste, nourri au passage de subventions outrancières de l’Etat.
Quel féminisme peut encore réclamer, à contre-courant de toutes les mobilisations pro-droits, une réponse répressive à ce qu’il juge indigne ? S’agit-il encore de féminisme ? Ou bien de relents de l’hétéro-patriarcat qui classe, hiérarchise, et disqualifie les personnes en fonction de leurs corps, leurs identités, leurs religions, ou leurs métiers ? Le féminisme abolitionniste n’a jamais été un féminisme.
Il ne suffit pas, pour être féministe, de marteler l’opinion publique à grands coups de chiffres et de récits sensationnalistes ; il ne suffit pas d’accuser les travailleurSEs du sexe d’être les suppôts du néo-libéralisme. Nous n’avons, comme l’ensemble des travailleurs et travailleuses, pas d’autre choix que d’élaborer des stratégies de survie dans une société qui est elle-même néo-libérale et violente. Plutôt que de s’attaquer aux putes, les abolitionnistes feraient mieux de pénaliser les patrons du CAC40. Au lieu d’être abolitionniste du travail du sexe, il nous semble + judicieux de se positionner comme abolitionniste de la police, des prisons et du travail salarié tout court.
Sept ans après, l’Etat doit donc, non pas repenser les cadres d’application de la loi de pénalisation des clients – que les abolitionnistes réclament plus fermes – mais abroger une loi qui nous prive de notre droit à la vie.
Nous réclamons donc une fois de plus l’abrogation de la loi de pénalisation de nos clientEs et une révision de celle sur le proxénétisme qui réduit nos capacités d’auto-organisation. Nous demandons donc, à l’instar de la Belgique depuis 1 an, la décriminalisation totale du travail sexuel.