Dans le débat en cours sur la réforme des retraites, on parle beaucoup des femmes précaires aux carrières hachées par la vie parentale, les temps partiels imposés, les discriminations, sans jamais citer nommément les travailleuses du sexe qui sont l’exemple typique de ce genre de situations.
Les personnes qui exercent le travail sexuel le font en général en complément d’autres métiers peu rémunérateurs ou bien parce qu’elles sont exclues de l’économie dite formelle par manque de titre de séjour avec permis de travail, à cause des discriminations à l’embauche ou au travail, d’un handicap ou état de santé non pris en compte, du manque d’offre de services publics notamment en garde d’enfants et transports en communs pour pallier vie personnelle et vie professionnelle, etc.
Se résoudre à travailler sans être déclarée fait partie des stratégies de survie dans un contexte d’absence de choix, ou d’options économiques réduites. Le manque de trimestres cotisés pour sa retraite n’est donc pas dû à un refus de travailler, mais aux contraintes du marché du travail. Parfois des travailleurSEs du sexe ont dû interrompre leur travail à la demande d’un conjoint qui ne supportait pas leur activité, mais sans nécessairement bénéficier de la solidarité au sein du couple, en particulier quand cela se termine en divorce, et sans avoir pu toucher de RSA ou autre aide qui aurait pu être comptée en trimestres supplémentaires, puisque vivant en dépendance des revenus du partenaire et que les aides sociales ne sont pas individualisées. A cela s’ajoute le fait que le statut d’auto-entreprise qui facilite l’entrée dans l’économie formelle pour les travailleurSEs du sexe, la possibilité de se déclarer et donc de cotiser pour sa retraite, n’existe que depuis 2008 !
Si en théorie, les travailleurSEs du sexe ont ainsi droit à la retraite, en pratique aucune d’entre nous en âge de partir ne le peut à présent sans décote puisque le statut n’existait pas encore en début de carrière (à moins d’avoir exercé d’autres métiers à côté du travail sexuel) et qu’il manque des trimestres et annuités pour partir à taux plein. De manière générale, les travailleurSEs du sexe ont beau avoir travaillé toute leur vie, dans les faits, nous n’avons pas droit à la retraite, et nous devons nous contenter du minimum vieillesse ou ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées).
Pour toucher le minimum ASPA, encore faut-il être toujours en vie à 65 ans, résider en France et ne pas retourner dans son pays, et ne pas être ponctionnée directement sur son compte en banque pour les arriérés d’amendes réclamées par le trésor public pour des infractions liées à la répression du travail sexuel, même quand l’infraction n’existe plus aujourd’hui, et pour lesquelles nous n’avons jamais bénéficié d’amnistie.
Cependant, nombreuses sont les travailleurSEs du sexe qui ne bénéficient pas de l’ASPA, soit par manque d’information, ayant dû se débrouiller seulE toute sa vie sans jamais rien demander à l’état, soit parce qu’une stratégie de survie des TDS a été de se constituer un petit patrimoine immobilier afin de pallier l’absence de retraite. En effet, certainEs travailleurSEs renoncent à toucher l’ASPA, car les montants perçus sont ensuite prélevés sur les droits de successions au détriment des héritiers, tandis que beaucoup de travailleurSEs du sexe se sont fait un honneur de travailler pour leurs enfants, pour qu’ils puissent faire des études, et leur transmettre le fruit de toute leur vie de travail.
Alors que le gouvernement prétend vouloir nous « sortir de la prostitution » et lutter pour l’égalité de genre, les travailleuses du sexe sont encore contraintes de se marier (parfois avec un client) pour bénéficier d’une pension de réversion ou bien de continuer à travailler après 60 ans. De plus en plus de personnes se retrouvent même à commencer le travail sexuel à un âge avancé, faute d’autres ressources, à cause du manque d’emploi des séniors, et de l’impossibilité de toucher une retraite à taux plein dès 60 ans.
Bien que nous soyons soumis aux impôts sur le revenu, et aux cotisations sociales URSSAF avec code NAF spécifique auxdits « services des prostituées », les gouvernements successifs refusent de nous reconnaitre comme des travailleurs, et n’ont donc jamais cherché à prendre en compte la pénibilité de notre travail, préférant le définir comme une violence par essence. Ces choix politiques signifient que nous n’avons pas de retraite et que nous ne sommes pas reconnuEs parmi les métiers difficiles et pourtant essentiels à la société.
Bien que nous soyons exposéEs à des violences dans le cadre professionnel, comme les infirmières ou chauffeurs de bus, cela n’est pas pris en compte. Bien que nous soyons exposéEs à des risques sanitaires au travail (cancers du col, VIH-IST, COVID19) cela n’est pas pris en compte. Bien que nous soyons contraintEs d’exercer dans des conditions particulièrement pénibles, en extérieur qu’il pleuve ou qu’il vente, de jour comme de nuit, à piétiner et marcher en talons pendant des heures, cela n’est jamais pris en compte. Au contraire, on nous refuse tout accès au droit du travail et au régime général de protection sociale comme tous les autres travailleurs pour des raisons purement idéologiques.
Parce que nos métiers sont particulièrement difficiles, parce que nous subissons une stigmatisation et un opprobre social, parce que nous subissons des discriminations qui entravent notre accès au droit du travail et à l’économie dite formelle, parce que nos corps sont usés de tout le temps travailler, et parce que nous le valons bien, nous exigeons :
Un droit automatique à la retraite dès 60 ans, aligné sur le régime spécial des parlementaires, sans condition, dès 5 années de cotisation.
Texte cosigné par : Assemblée Générale des femmes de Gerland, Cabiria, Collectif des femmes de Strasbourg St-Denis, Fédération Parapluie Rouge, Paloma, STRASS