Entretien avec Pye Jakobsson de Rose Alliance (Suède)

Il y a quelques semaines, nous avons profité du passage par Paris de Pye Jakobsson, ex-travailleuse du sexe et militante suédoise, pour lui poser des questions sur la situation dans son pays, depuis la mise en place d’une loi de pénalisation des clients.
Avant de commencer l’entretien proprement dit, Pye a tenu à rectifier les propos qui lui ont été attribués dans le rapport de la mission parlementaire sur la prostitution (rapport Bousquet-Geoffroy http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3334.asp). On lit en effet à la page 230 de ce rapport :

« Lors de son déplacement en Suède, la mission a tenu à rencontrer des opposants à la pénalisation du client. Or, il s’est avéré que les critiques formulées par Mme Pye Jakobson, porte-parole de l’association Rose Alliance, qui regroupe des personnes prostituées, ne portent pas, pour l’essentiel, sur la loi en tant que telle mais sur la façon dont elle a été élaborée et dont elle est appliquée. Ainsi, elle a souligné que pour mieux mesurer les effets de la loi, il aurait fallu mener une évaluation statistique de la prostitution en amont, qu’il aurait été nécessaire de mettre en œuvre, parallèlement à la pénalisation des clients, des moyens financiers supplémentaires en direction des personnes prostituées et qu’il aurait fallu davantage faire attention au risque de stigmatisation des personnes prostituées. Au total, elle ne rejette pas l’idée de pénaliser les clients mais estime que cette pénalisation ne devrait concerner, comme en Finlande, que les clients de victimes de la traite ou de personnes vulnérables ».

En réalité, nous dit Pye, son propos était que « l’approche finlandaise était moins nuisible mais pas bonne pour autant, et que d’autres lois existaient pour s’occuper de la criminalisation de la traite et de l’exploitation.


Tu as arrêté le travail sexuel depuis plus d’un an, est-ce que tu regrettes finalement ces 24 ans passées dans l’industries du sexe (puisque, c’est bien connu, on ne réalise la violence de notre travail qu’après l’avoir arrêté, ce qui explique qu’on ne puisse prendre en compte la parole des travailleurSEs du sexe encore en exercice) :
Non, j’ai toujours les mêmes idées, rien n’a changé.

Comment cette loi a-t-elle été présentée ?
Dans un « package » sur « la paix des femmes », parmi différentes mesures sur le viol, le harcèlement… La notion de « client » est définie en fonction de l’implication des parties génitales : c’est OK d’être dominatrice, OK de faire un strip tease et que le client se masturbe, OK de faire un lapdance si tu gardes ton string …

et donc, ton sentiment après 12 ans de pénalisation des clients ?

Il n’y a pas moins de clients, mais ils font plus appel à des travailleurSEs du sexe indoor, et moins à celles de la rue (en Suède, le racolage n’a jamais été criminalisé ; mais les lois sur le proxénétisme sont les mêmes qu’en France : tu peux seulement travailler seule, tu ne peux pas louer un appart avec une collègue par exemple). Et aussi maintenant les clients demandent plus souvent à ce tu ailles chez eux plutôt que de venir chez la travailleurSE du sexe car ils pensent que la police connait les adresses des travailleurSEs du sexe.

Le plus gros problème est que le message de la loi est de considérer toutE travailleurSE du sexe comme une victime (c’est par exemple ce que les travailleurs sociaux apprennent dans leurs formations), la stigmatisation s’est donc accrue, et c’est devenu très problématique, en tant que travailleuse du sexe, ne ne pas se considérer comme telle.

La loi elle-même dit qu’il n’existe pas de travail sexuel volontaire ; du coup tout le monde veut sauver tout le monde. C’est donc fréquent que des voisins, amis, famille, appelle la police ou un travailleur social pour signaler qu’on exerce le travail sexuel. Ils peuvent appeler la police ou les travailleurs sociaux (les deux travaillent main dans la main) ; la police peut aussi appeler ton propriétaire ; comme le propriétaire est considéré comme un proxénète, il doit te virer s’il ne veut pas être accusé de proxénétisme. Ça peut aussi être des clients insatisfaits (ou que tu as refusés) qui appellent la police ou les services sociaux et leur dit que tu es mineurE, ce qui n’est pas vrai mais justifie une intervention : la police vient frapper à ta porte, pendant que tu travailles par exemple.

Par exemple une amie à moi, mère de deux enfants, dont le mari était violent, a décidé de le quitter et de commencer le travail sexuel. Deux jours après, les travailleurs sociaux sont venus la voir et l’ont menacé de lui retirer la garde de ses enfants.

Le plus dur, c’est vraiment pour les personnes qui ont des enfants, qui doivent vraiment rester très très discrêtes. Si tu ne te reconnais pas comme une victime, que tu ne pleures pas, tu es considérée comme mentalement atteinte.

Les travailleurSEs les plus affectées sont ceux qui travaillent dans la rue. Ce n’est pas que les clients sont devenus plus violents, mais les « bons » clients font maintenant appel à des travailleurSEs indoor ; dans la rue il ne reste donc que les pires, ceux qui ont toujours été là mais dont on ne voulait pas avant. De plus, cette loi leur a donné plus de pouvoir, puisque, comme ils risquent d’être arrêtés, ils ne veulent plus aller dans les lieux de rencontre habituels pour faire la transaction mais veulent s’éloigner des centre-villes.


Au sujet de la police :

Au début, les policiers ne voulaient pas de cette loi, disant que ce n’était pas leur boulot. Mais la nouvelle génération l’a appris dans sa formation, alors ils l’appliquent plus.

En Norvège, la police cherche les esocrtes qui font des « tours » et appellent les hôtels : « bonjour, Mme X va venir dans votre hôtel, elle est prostituée » ; les hôtls nous blaklistent, et après on ne peut même pas y aller pour des vacances. Ça commence aussi à se faire en Suède,


En France, les partisans de la pénalisation des clients essaient de rendre cette idée plus populaire en disant que la loi sera accompagnée de mesures sociales… c’était pareil en Suède ?

Oui, ils avaient dit qu’il y aurait des moyens massifs dédiés à l’intervention sociale, mais tout l’argent est allé aux forces de l’ordre.


Pye Jakobsson est membre de Rose Alliance, une organisation pour et par les travailleurSEs du sexe, créée en 2001. Si Rose Alliance parvient parfois à s’exprimer dans les médias, Pye nous précise que « c’est mieux si tu dis que tu es une ancienne travailleuse du sexe, si tu ne veux pas que la police et les travailleurs sociaux viennent vers toi ensuite »

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