Discours du STRASS pour la marche d’Act Up contre le sida

Vanesa Campos, août 2018

Jessyca Sarmiento, février 2020

Saba, novembre 2022

Tous les 2 ans, en plein Paris, une travailleuse du sexe est assassinée.

Je ne parle que de Paris et que de celles dont le nom est public car en réalité, nous connaissons d’autres mortes, dont nous ne communiquons pas le décès quand elles ne voulaient pas que leur famille soit au courant.

A Paris, quand on est une travailleuse du sexe, on peut être rouée de coups en pleine rue, sous le regard impassible d’agents municipaux, et en mourir, comme ce qui est arrivé à Saba il y a encore seulement deux semaines.

Que font la mairie, la région, le gouvernement ?

Bah rien. Ce sont des travailleuses du sexe.

Mais pour être honnête ils ne font pas exactement rien.

La mairie de Paris applique des arrêtés municipaux contre le stationnement de nos véhicules. Elle demande à sa nouvelle police municipale de verbaliser. Elle vote des vœux pour exiger de la préfecture la fermeture des salons de massages. L’adjointe à la maire déléguée aux droits des femmes porte plainte contre Act Up-Paris lorsqu’on dénonce ses politiques putophobes et criminelles. Elle refuse de subventionner les programmes de lutte contre les violences faites aux travailleuses du sexe au motif qu’on ne peut pas lutter contre les violences faites aux femmes en parlant de travail sexuel, tout comme la région ile de France qui ne répond pas non plus aux demandes de subvention. Le gouvernement continue d’appliquer la pénalisation des clients, d’organiser la chasse aux migrants, aux usagers de drogues. Au nom de la lutte contre la prostitution, on nous expulse de nos logements, on censure notre expression sur internet, on nous refuse l’ouverture de comptes en banque, on saisit notre argent et nos biens, on bafoue nos droits humains fondamentaux comme la vie privée et familiale, la sécurité, la santé, et ultimement on nous refuse le droit à la vie.

Nous ne sommes pas censées exister, nous sommes censées disparaitre, être réinsérées socialement, être abolies.

Alors comment mène t’on une politique de santé publique adaptée à l’égard des travailleuses du sexe lorsque la priorité politique en France est le maintien d’une idéologie d’état insistant sur le fait que nous ne devons pas exister ?

On se retrouve dans des situations absurdes avec un état officiellement laïc mais qui finance des organisations chrétiennes pour nous remettre dans le droit chemin.

On se retrouve avec un état qui vante l’universalisme, mais qui crée des lois et des dispositifs spécifiques et exceptionnelles pour les travailleuses du sexe, en dehors du droit commun, nous privant de l’accès au droit et à la justice, du droit du travail, de la protection sociale, et ce, malgré des crises sanitaires qui se suivent et qui démontrent leur nécessité absolue.

Au lieu d’un accompagnement social s’inspirant du travail des associations communautaires, nous avons un parcours de sortie de la prostitution qui conditionne quelques maigres avantages, une APS de 6 mois et 330 euros d’alloc, à l’arrêt d’un travail parfaitement légal et fiscalement imposable.

On nous dit que le travail sexuel est une violence de genre car ce sont principalement des femmes qui l’exercent. Les hommes travailleurs du sexe ne sont pas des vraies prostituées car nous prenons du plaisir à des actes sexuels violents, tandis que les femmes doivent être « protégées contre leur propre consentement », pour reprendre les termes du dernier rapport sénatorial contre la pornographie.

Le parcours de sortie ne s’adresse qu’à une centaine de personnes par an au lieu des 1000 promises et la voie de rédemption principale est de devenir femme de ménage, un métier pas du tout genré, contrairement au travail sexuel.

En 40 ans de lutte contre le VIH nous avons davantage subi de reculs qu’obtenu d’avancées.

Grâce à la lutte contre le sida, les travailleuses du sexe ont obtenu le droit à des capotes gratuites et depuis quelques années ; la PrEP gratuite. Merci beaucoup vraiment.

Malheureusement, la fin du sida, ou même le fameux « 3 fois 90 » resteront un mensonge, tant que le travail sexuel est criminalisé.

Parce qu’il ne suffit pas de nous abreuver de capotes et de médicaments quand on est criminalisée, discriminée, et donc précaire et mobile.

La PrEP a démontré son efficacité auprès des HSH nés en France et porte un réel espoir sur le front de la prévention. Mais lorsqu’on est précaire, sans horaires fixes, qu’on ne mange pas comme on le souhaite, qu’il faut faire du chemsex avec les clients, qu’on n’a pas pu dormir la nuit dernière, il est plus difficile d’être observant avec son traitement ARV ou PrEP. Il est plus difficile d’arriver à l’heure à son rendez-vous médical, de garder le contact avec l’association qui nous suit.

Mais pour conclure je vais terminer sur une note un peu plus positive. Si la crise COVID a été terrible pour les travailleuses du sexe, la mobilisation de cet été contre le monkeypox a en revanche rencontré des succès en partie parce que la DGS et le gouvernement ont été à l’écoute de nos demandes sur la vaccination, mais y compris celles des travailleuses du sexe.

Lorsque nous avons expliqué que nous ne pouvions pas arrêter d’avoir des rapports sexuels en étant atteints du monkeypox, parce que nous ne bénéficions pas d’arrêt de travail ni de protection sociale quand on travaille dans l’économie informelle, nos interlocuteurs ont compris que oui il y avait un intérêt à indemniser les travailleurs du sexe malades.

Nous avons pu faire entendre cette revendication grâce à un front uni de l’ensemble de nos associations, mais nous allons encore avoir besoin de cette union dans les jours à venir, pour une terminologie respectueuse de notre autodétermination, pour des montants d’indemnisation qui permettent réellement d’arrêter de travailler, de payer son loyer et pas juste de manger des pâtes, pour élargir cette indemnisation à toutes les IST, et à toutes les maladies, et pas uniquement contre le monkeypox dont l’épidémie est en voie de se terminer ; et pour l’ensemble des personnes exclues de la protection sociale et du travail dans l’économie formelle, pas seulement les travailleurSEs du sexe. A terme, nous ne pourrons pas nous satisfaire de chèques services qui ne font que répondre à une situation d’urgence à défaut d’autre chose.

En réalité, la solution est celle qui a été adoptée en Belgique cette année qui a tiré la leçon de la crise COVID, et qui a décriminalisé le travail sexuel pour permettre une vraie protection sociale, et un accès entier au droit commun. Cela passe nécessairement par le fait de reconnaitre que le travail sexuel est un travail et qu’il doit donc bénéficier des mêmes droits et protections, pour notre sécurité et pour notre santé. Merci de votre attention.

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