Courrier des Femmes de vincennes aux députéEs

Les Femmes de Vincennes

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Tel : 01 43 14 98 98

Assemblée Nationale

A l’attention de Mesdames et Messieurs les Députés

126 rue de l’Université

75355 Paris 07 SP

Paris, le 2 décembre 2011

Objet : Proposition de résolution n°3522 « réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution ».

Mesdames les Députées, Messieurs les Députés,

Le mardi 6 décembre 2011, vous aurez à examiner et voter la proposition de résolution n°3522 « réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution ».

Préalablement à ce débat parlementaire, nous souhaitons vous transmettre quelques observations que la lecture du texte a suscitée auprès de nous qui exerçons l’activité prostitutionnelle, sachant que nous sommes particulièrement visées.

Une fois de plus, nous déplorons qu’une telle réaction ait été faite sans que jamais un dialogue, un échange dépassionné et respectueux des uns et des autres , n’ait eu lieu.

Le code pénal français est riche de dispositions permettant de lutter contre la traite des êtres humains, le proxénétisme, et même le racolage. D’ailleurs, pour le racolage, près de 9 ans après la loi sur la sécurité intérieure, toutes les études s’accordent à dire que le dispositif conduit davantage à la mise en danger d’autrui qu’au démantèlement de réseaux criminels et à la protection de celles qui en sont victimes.

Nous l’avons toujours dit et écrit : nous ne méconnaissons pas la nécessité de lutter contre les réseaux mafieux, souvent internationaux, dont les premières victimes sont les personnes qui y sont soumises. Toutefois, force est de constater que la mise en place du dispositif répressif n’a fait qu’aggraver la situation des personnes prostituées, quelque soit leur nationalité – française ou étrangère -, sans que les réseaux criminels, censés être concernés par le durcissement des lois pénales françaises, ne soient inquiétés.

Et, comme nous le précisons également sans relâche depuis 2003, le dispositif répressif adopté contraint les personnes prostituées à exercer dans des conditions extrêmement dangereuses. Tout d’abord, étant obligées d’exercer en dehors des lieux traditionnels, les personnes prostituées sont de plus en plus exposées aux agressions de toutes sortes. En second lieu, elles se trouvent contraintes d’accepter certaines exigences des clients, au péril de leur santé, dont celles d’avoir des rapports sans préservatif. Ainsi isolées, les personnes prostituées n’ont plus aucun contact avec les associations de prévention et réduction des risques intervenantes sur les lieux d’activité prostitutionnelle classique.

Aujourd’hui, nous allons avoir un texte de plus. Certes, il s’agit, non pas d’une proposition de loi, mais d’une résolution ne revêtant pas de pouvoir contraignant. Néanmoins, et comme le soulignait déjà en 2002 la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, « l’inflation des règles encadrant l’exercice des libertés publiques, et parfois même de la vie privée des individus, suscite l’inquiétude de notre société démocratique ».

Nous sommes au cœur du sujet. Tant les parlementaires que les associations n’ont qu’un objectif : alourdir l’arsenal français à l’encontre d’une catégorie de la population.

En effet, depuis des décennies, nous assistons à une stigmatisation des personnes prostituées et, parlons franchement, à une stigmatisation des femmes prostituées. Les hommes et les transgenres suscitent bien moins l’intérêt du monde associatif et des institutions. Il nous sera objecté que numériquement les femmes sont majoritaires dans le champ de la prostitution. Or :

  1. C’est méconnaître les autres formes d’activité prostitutionnelle, hors voie publique. Mais il est vrai que vous ne possédez aucun élément factuel ni de données chiffrées. Ainsi, vous ne vous aventurez pas sur ces autres terrains.

  2. C’est avoir une analyse un peu particulière de la défense des droits que de ne s’intéresser qu’à ce qui fait nombre, et penser que les « minorités » ne méritent pas une réflexion. D’ailleurs, si les autres activités étaient étudiées, vous verriez que la clientèle féminine y est présente, ce qui n’a rien de choquant. Mais une fois de plus, elle n’intéresse pas puisque plus minime.

Par ailleurs, le texte qui va vous être soumis demande à ce que « les politiques publiques offrent des alternatives crédibles à la prostitution » (article unique, paragraphe 18). Soyons concrets : cela signifie qu’une partie d’entre nous viendra grossir les rangs des inscrits à Pôle Emploi pendant que l’autre partie – relevant d’une moyenne d’âge de 60 ans – entamera les démarches aux fins d’un versement du minimum vieillesse.

Dans le contexte économique et social actuel, de tels choix politiques – soucieux, selon les parlementaires auteurs de cette démarche, de la dignité humaine – sont quelque peu stupéfiants. Mais il est certain que de nous savoir à la charge de nos concitoyens, dont la situation économique se précarise davantage chaque jour, ne relève plus de votre mandat. Les françaises et les français y pourvoiront.

La conséquence directe de ces initiatives parlementaires et gouvernementales est de mettre en danger la politique de santé publique et la politique sociale à l’encontre d’une partie de la population vivant sur le territoire français.

Nous sommes fatiguées de ce débat moral et philosophique qui ressurgit à intervalles réguliers en France pour parler de nous, et qui aboutit toujours à des lois dont le but unique est de nous éradiquer.

Il n’y a sans doute aucune limite à l’ingéniosité des juristes, des ministères et des deux chambres parlementaires. Il y a, en revanche, une limite à l’injustice et au mépris.

Quand réfléchirons-nous hors du débat moral que nous sert la société française depuis de trop nombreuses années ?

IL est urgent d’assainir le débat, d’évacuer les arrière-pensées. Il faut en finir avec les stéréotypes. Ces caricatures, qui nous sont servies à longueur de temps, sont inutilement blessantes. Elles empêchent tout débat et même toute compréhension des véritables enjeux.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous adressons le présent courrier, et nous nous tenons à votre entière disposition pour tout complément d’information.

Nous vous prions d’agréer, Mesdames les Députées, Messieurs les Députés, l’expression de nos respectueuses considérations.

Les Femmes de Vincennes

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