PPL Violences conjugales : Le porno a bon dos

Le 9 juin 2020 a eu lieu l’adoption au Sénat de la PPL Violences conjugales en procédure accélérée. Parmi les mesures visant à réduire les violences au sein du couple, l’article 11 détonne, car il vise la protection des mineurs face à l’exposition à la pornographie. Cette mesure issue du Grenelle des violences conjugales est censée lutter contre le sexisme et surtout « la brutalité qui va avec ces images. » Le lien entre pornographie, sexisme et violences conjugales n’est pas prouvé. Encore une fois, #LePornoABonDos.

Il est déjà interdit de « fabriquer, transporter et diffuser » un contenu pornographique dès lors que ce message est susceptible d’être vu par un mineur (article 227-24 du Code pénal. En l’essence, cet article de loi exige désormais la mise en place de mesures de vérification de l’âge inspirées du modèle des jeux d’argent en ligne (dispositif ARJEL) pour empêcher l’accès des mineurs aux sites à caractère pornographique. Les sites qui ne seraient pas en mesure de s’y conformer ou refuseraient de le faire pourraient voir leur accès bloqué et leur déréférencement en France.

L’article 11 en bref

Cet article industrialise le blocage judiciaire des sites affichant des contenus pornographiques. Il octroie le pouvoir au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) d’adresser une mise en demeure à un site pour en interdire l’accès aux mineurs sous 15 jours. Passé ce délai, il peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris afin de faire bloquer l’accès au site depuis les fournisseurs d’accès Internet et d’exiger le déréférencement du site des moteurs de recherche en France.

Les simples déclarations de majorité ne seront pas suffisantes; la preuve de majorité devra être effectuée par un moyen qui reste à être précisé, mais qui pourrait être le paiement par carte bancaire, l’utilisation du service FranceConnect ou l’achat d’un coupon en bureau de tabac après vérification de l’âge par pièce d’identité.

Ces solutions devront être adoptées non seulement par l’ensemble des « tubes » X mais aussi les blogs, sites amateurs ou forums qui publient des photos, textes, vidéos, s’ils sont y mis en demeure par le CSA.

Jusqu’à maintenant, le contrôle de l’accès des mineurs à des contenus pornographiques légaux était la responsabilité de l’autorité parentale, pouvant notamment s’exercer via les filtres de blocage des sites adultes. Cette nouvelle législation transfère la responsabilité des parents vers l’éditeur du site Internet en introduisant des mesures de contrôle de l’âge et de l’identité dangereuses pour la protection de la vie privée les consommateurICEs de porno.

La pornographie selon le droit français

La pornographie est mal caractérisée en droit français. Selon la jurisprudence établie par la Cour de cassation,« la pornographie consiste en la représentation minutieuse de choses obscènes, dans la seule intention de provoquer l’excitation sexuelle ». Le caractère pornographique d’un contenu doit être apprécié en fonction de sa nature lubrique, de l’état d’évolution des moeurs à une époque définie et dans un lieu déterminé, de l’évolution du langage mais également en fonction du public auquel il s’adresse ».

Il s’agit donc d’une notion fluctuante dans le temps et en fonction des moeurs. Ce qui est jugé lubrique aujourd’hui ne l’a pas forcément toujours été. On peut craindre que des représentations sexuelles diverses comme celles qui sont homosexuelles, multiples, à l’esthétique BDSM ou fétichistes, les contenus à visée d’éducation sexuelle ainsi que les corps de personnes transgenres, grosses, racisées, poilues ou non conformes à la norme soient en proie à la surcensure, comme elles le sont déjà effectivement sur les plateformes.

Nos sexualités ne sont pas dégradantes dès lors qu’elles s’éloignent du cadre normatif et moraliste de l’hétéropatriarcat à visée reproductive. Ce n’est pas au législateur de postuler qu’une pratique sexuelle est violente par essence. La règle de base dès lors que les personnes sont adultes doit demeurer le consentement de toutes les parties impliquées.

Les conséquences pour les travailleurSEs du sexe en ligne

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette nouvelle législation ne met pas uniquement en danger les « tubes X », ces diffuseurs d’images pornographiques gratuites en streaming. N’importe quel site au monde peut être visé par cette loi : blog, forum, site personnel amateur. Il suffit qu’il soit accessible librement et qu’il contienne du contenu vidéo, photo ou même textuel considéré comme pornographique au sens de la loi française.

Cela signifie notamment que les éditeurs des sites porno spécialisés, communautaires, amateurs et/ou artisanaux en France comme à l’étranger doivent être au fait de cette loi et en mesure de s’y conformer. A moyen terme, on peut imaginer qu’un grand nombre de ces sites ne soient plus accessibles depuis la France à moins d’utiliser un VPN, ce qui risque d’en généraliser l’usage et d’exposer les mineurs à des sites encore moins contrôlés sur le dark web.

Pire encore, ces dispositions contribueront à exclure encore plus les travailleurSEs du sexe de leurs espaces d’expression de publicité et d’échange et des plateformes ou iels peuvent échanger sur leur réalité, leur travail ou même militer.

Twitter, l’une des dernières plateformes tolérant la présence d’images pornographiques, ne possède pas de système de vérification de l’âge autre que l’auto-certification. Cette loi mènerait donc de facto à censurer toutes les images jugées pornographiques pouvant être vues sur cette plateforme depuis le territoire français. Cela aurait des conséquences dramatiques sur le travail d’appel des modèles de webcam érotique indépendants qui ne seraient plus en mesure de joindre leur clientèle. Cette disposition favorise évidemment les gros distributeurs déjà bien connus du public, disposant déjà de services payants et d’un quasi-monopole sur le porno français.

La conséquence probable de cet article sera la censure massive de contenu pornographique voire érotique légal, artisanal, amateur et indépendant tout en favorisant de facto les grands distributeurs. Nous affirmons que la mesure est disproportionnée face à l’objectif souhaité.

On peut aussi s’attendre à ce que cette loi entraîne le blocage des sites d’annonces d’escort et de webcam érotique basés à l’étranger ainsi que les sites Web de travailleurSEs du sexe indépendantEs, fragilisant d’autant une communauté déjà marginalisée par la définition très large du proxénétisme et la pénalisation du client. Or, nous connaissons déjà les conséquences dramatiques qu’ont eu sur nos collègues nord-américaines l’introduction des lois SESTA/FOSTA : chasser les travailleurSEs du sexe de l’Internet et les repousser vers le travail de rue, nuisant à leur sécurité et les poussant à recourir à des intermédiaires, les rendant d’autant plus vulnérables à l’exploitation et diminuant leur pouvoir de négociation. La perte drastique de revenus entraîne des pertes de logement, une hausse des violences, des situations de crise et des suicides dans notre communauté.

Pour aller plus loin :
Le Tag Parfait : Loi SESTA – FOSTA : un pas de plus vers la censure et le puritanisme
Le Tag Parfait : Quand les moralistes 2.0 flinguent les finances des travailleuses du sexe
Manifesto-21 : « This Is Bigger Than Us » : la censure des créateurs x indépendants nous affectera tous

Notre position au Strass

Encore une fois, l’on tente de faire disparaître les travailleurSEs du sexe des espaces virtuels et réseaux sociaux. Ce n’est pas très différent des mesures prohibitionnistes visant à les faire fuir des centres-villes en les repoussant à la marge.

Nous déplorons que cet article ait été élaboré sans même que des acteurICEs porno aient été auditionnéEs. Les camgirls et camboys, acteurICEs et modèles pornos et les escorts utilisant Internet méritent mieux qu’un article orphelin, un cavalier législatif mal circonscrit et perdu au coeur d’une loi traitant des violences conjugales, tout comme ce fut le cas avec les dispositions égarées dans la récente Loi Avia sur la cyberhaine. Nous exigeons d’être consultéEs afin de produire un cadre concerté incluant l’ensemble de l’industrie pornographique, pas seulement le plus gros distributeur de France et des tierces parties prohibitionnistes ou néo-abolitionnistes.

Nous ne remettons pas en question l’intention de l’article de loi qui en est une de protection et de santé publique. Nous rappelons cependant que le lien entre la consommation juvénile de pornographie et les violences conjugales n’est fondé sur aucune étude scientifique. Nous réclamons une étude d’impact afin d’orienter le législateur à partir d’expertises, de faits et de science, sans improvisation ni panique morale. Faire quelque chose, ce n’est pas faire n’importe quoi.

Nous dénonçons l’instrumentalisation des objectifs de protection de l’enfance à des fins de prohibition sexuelle, stratégie souvent employée par les conservateurs pour réprimer les minorités sexuelles et de genre. Nous connaissons trop bien ces débats puisque nous sommes sans cesse infantiliséEs dans les débats entourant la prostitution englobant allègrement « les filles et les femmes » ou brandissant des âges moyens de début de la prostitution ubuesques pour susciter l’émotion en faveur de la prohibition et au détriment de l’accès au droit commun et du respect des droits humains.

Nous dénonçons les propos stigmatisants de la sénatrice Marie Mercier à l’égard du BDSM lors des débats sur l’article 11 au Sénat. Le BDSM et les pratiques dites « hard » ne sont pas violents par essence dès lors qu’elles ont lieu entre adultes consentants. Nous y voyons une volonté de normer les sexualités, avec un risque de pénaliser la libre expression sexuelle. Il ne nous viendrait pas à l’idée de faire disparaître le vin et la bière de nos supermarchés et de nos restaurants sous prétexte que les mineurs peuvent y accéder et pourtant, c’est ce que l’on est en train de faire avec l’expression de nos sexualités.

À l’image de ce qui était d’abord mis de l’avant par le Secrétariat d’Etat chargé du numérique, nous prônons la généralisation et la simplification du contrôle parental, à l’image de ce qui est fait pour tous les autres médias à caractère pornographique. De nombreuses solutions existent et peuvent être mises en application par les détenteurs de l’autorité parentale au moment de l’acquisition d’un smartphone, d’une tablette ou d’un ordinateur relié à Internet.

Nous croyons fermement qu’il est urgent de valoriser l’éducation sexuelle destinée aux enfants et aux adolescents au sein de l’éducation nationale pour accompagner le développement d’un regard sain, critique et égalitaire sur la sexualité.

Enfin, nous redoutons la mise en application de méthodes de vérification de la majorité comportant des données nominatives liées à la consommation de porno. Inefficaces jusqu’à maintenant à l’étranger, ces méthodes mettent à mal la liberté sexuelle en suscitant une autocensure. Nous craignons notamment les fuites de données nominatives comme nous en avons vu par le passé pour des sites libertins et des sites de cam érotiques et qui ont eu des conséquences désastreuses sur le droit à la vie privée.

 

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