Accompagnement sexuel pour les personnes handicapées : un avis du CCNE, comme prévu, rétrograde, et discriminant.

Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a remis le 6 octobre 2021 son avis concernant la pratique dite de « l’assistance sexuelle » en France. https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/reponse_a_la_ministre_sophie_cluzel.pdf

Ni le STRASS, ni aucune travailleuse du sexe en France, n’ont été auditionnés dans la réalisation de cette réponse à la ministre Sophie Cluzel, qui reflète davantage les préoccupations des familles, des institutions médicales et, en particulier, des organisations catholiques et prohibitionnistes.

Comme prévu, le CCNE amalgame tout travail sexuel à ce qu’il nomme une « marchandisation du corps » non définie, qui s’apparenterait à de l’esclavage ou de la traite des êtres humains. Rappelons donc que le travail sexuel en soi est légal en France, et que tout le débat sur ledit « accompagnement sexuel » concerne surtout la situation des clients handicapés actuellement pénalisés par la loi de 2016, ainsi que celle des intermédiaires, à savoir les familles et le personnel médicosocial, criminalisables par la loi sur le proxénétisme.

Dans la réalité des faits cependant, une grande tolérance semble s’appliquer en ce qui concerne le recours des personnes handicapées aux services des travailleurSEs du sexe. Jusqu’à maintenant, il n’y a à notre connaissance aucune personne qui ait été inquiétée dans le cadre de cette pratique, que ce soit d’un point de vue policier ou judiciaire. L’association APPAS met même en relation des accompagnantEs sexuelLEs et des personnes handicapées depuis des années sans s’en cacher, et sans jamais être poursuivie pour proxénétisme.

Pourquoi alors autant de bruit ?

Notre analyse est que le gouvernement, à travers sa ministre Sophie Cluzel, relance le débat sur l’accompagnement sexuel pour masquer tous les manquements de sa politique sur le handicap. Il y a actuellement un mouvement et des revendications fortes sur les questions sociales notamment sur l’individualisation des droits sociaux comme l’AAH, sur les questions d’accessibilité de l’espace public toujours au point mort, sur les discriminations pour l’accès à et dans le monde du travail ; mais parler « d’accompagnement sexuel » permet de détourner l’attention sur un sujet fortement passionné et polarisé.

Le gouvernement mène depuis des années une politique anti-travail sexuel et n’a donc aucune intention de faire progresser quoi que ce soit, seulement de gagner du temps en louvoyant de la façon la plus hypocrite, en demandant l’avis d’une instance conservatrice dont tout le monde connait déjà la réponse avant même de la saisir.

Les familles et les personnels soignants ne sachant pas comment répondre à l’expression de la sexualité et du désir de la part des personnes handicapées paniquent, et se sentent obligés d’inventer une profession qui pourtant existe déjà, en faisant mine de la différencier des autres formes de travail sexuel.

En exceptionnalisant l’accompagnement sexuel des autres formes de travail sexuel, on ne fait cependant qu’entretenir des considérations validistes, comme si les clients handicapés étaient différents des autres. Les familles et le personnel soignant peuvent ainsi continuer d’infantiliser et de participer à une forme de contrôle en exigeant un cadre conçu selon leurs besoins à eux, c’est-à-dire en médicalisant la sexualité, et en la rendant convenable à leurs yeux puisque relevant du soin et non d’une forme de travail sexuel.

Nous comprenons parfaitement que la criminalisation et la stigmatisation du travail sexuel en tant que « prostitution » fassent peur, mais les stratégies de désidentification et de mise à distance seront toujours perdantes face aux lobbys chrétiens et prohibitionnistes. Ceux-ci rappelleront inévitablement la définition juridique de ladite « prostitution » pour mieux l’amalgamer à la criminalité et à la violence avec des concepts fumeux tel celui de « marchandisation du corps ».

Ce débat n’existe que grâce et à travers la criminalisation du travail sexuel en France puisque sans criminalisation des clients et des intermédiaires (proxénétisme), la question ne se poserait plus, ou en tout cas, plus dans ces termes. Les travailleurSEs du sexe se définissant comme accompagnantEs sexuelLEs peuvent autant que les autres accéder au statut d’auto-entreprise et peuvent donc avoir une existence parfaitement légale.

La revendication de créer une exception à la loi uniquement pour les clients handicapés (majoritairement des hommes cisgenres hétérosexuels) ne réglerait le problème que pour eux, alors même qu’ils bénéficient déjà d’une plus grande tolérance de la part de la police et de la justice. Dans le même temps, on invisibilise complètement la situation des femmes travailleuses du sexe handicapées, censées ne pas exister, et qui elles continueront de subir les conséquences des politiques de criminalisation du travail sexuel. Répression d’autant plus vive que le recours à leurs services est doublement punissable du fait de leur catégorisation en tant que « personnes vulnérables ».

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