Des putes aux députéEs

Courrier adressé le 17 septembre 2024 aux éluEs de la nation.

 

Madame, Monsieur, la/le député,

 

Le 25 juillet 2024, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rendu sa décision concernant le recours de 261 travailleurSEs du sexe, en majorité migrantes, quant à la pénalisation des clients. De manière assez classique, celle-ci s’est retranchée derrière la marge d’appréciation des états, pour ne pas prendre position sur le fond, au prétexte d’une absence de consensus européen.

Contrairement à ce qu’a affirmé la secrétaire d’état démissionnaire Aurore Bergé sur les réseaux sociaux, cela n’équivaut donc pas à un soutien à la loi française. Nous vous invitons à lire le compte rendu de décision de la CEDH pour mieux comprendre les arguments en présence. https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22documentcollectionid2%22:[%22GRANDCHAMBER%22,%22CHAMBER%22],%22itemid%22:[%22001-235143%22]}

En effet, la cour reconnait l’impact négatif de la pénalisation des clients sur les droits humains des travailleurSEs du sexe, notamment au regard de la clandestinisation, isolement, et précarisation accrue, entraînant des conséquences sur la santé, la sécurité, et les conditions de vie et d’exercice.

« les requérants produisent des éléments tendant à montrer que la clandestinité et l’isolement qu’induit cette incrimination augmentent les risques auxquels elles sont exposées. » https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-226443%22]}

C’est au regard de l’objectif du législateur français de combattre la traite des êtres humains et les troubles à l’ordre public (ayant aussi valeurs juridiques), que le conseil constitutionnel, puis la CEDH, ont admis le principe de limiter les droits des travailleurSEs du sexe, et de s’en remettre aux parlementaires français afin d’évaluer au plus près l’efficacité de cette mesure. Les juges ont donc refusé de juger, malgré nos objections que la pénalisation des clients n’avait démontré aucune efficacité à lutter contre la traite, puisque l’augmentation de l’exploitation sexuelle des mineurs, des infractions de proxénétisme, et des violences, allant jusqu’aux meurtres, est documentée.

Le deuxième argument de la CEDH pour ne pas trancher, est de considérer que les impacts négatifs reconnus sur les travailleurSEs du sexe, étaient déjà constatés avant la loi, à cause du délit de racolage public. Or, c’est précisément parce que le délit de racolage n’apportait aucune preuve d’efficacité contre l’exploitation et qu’il avait un impact néfaste sur les personnes que les parlementaires avaient décidé à l’époque de l’abroger.

Par ailleurs, nous ajoutons que de notre point de vue en tant que travailleurSEs du sexe, la pénalisation des clients est pire que celle du racolage, car elle précarise davantage. Tandis que nous résistions à la présence policière en retournant travailler après une nuit en garde à vue, les clients craignent la police. Une baisse du nombre de clients signifie bien plus une perte de revenus, qu’une amende pour racolage qu’on pouvait compenser en travaillant un peu plus. Dans ce contexte, les clients sont même paradoxalement gagnants malgré la volonté du législateur, puisqu’à cause de la loi, nous avons perdu en pouvoir de négociation, que les prix des passes ont baissé (jusqu’à par deux ou par trois dans les bois de Boulogne et Vincennes), et que la plupart des clients échappent aux amendes, environ 1000 à 2000 verbalisations par an concentrées en région parisienne, pour des millions de services sexuels rendus sur toute la France.

Ainsi, la pénalisation des clients a renforcé le pouvoir de ceux-ci, et alors que la loi était censée lutter contre la domination masculine, celle-ci en sort grandie, sans compter que de nombreux arrêtés municipaux et préfectoraux contre notre présence dans l’espace public restent effectifs, ce dont ne parlent pas les juges.

« 167. Cela étant, il revient aux autorités nationales de garder sous un examen constant l’approche qu’elles ont adoptée, en particulier quand celle‑ci est basée sur une interdiction générale et absolue de l’achat d’actes sexuels, de manière à pouvoir la nuancer en fonction de l’évolution des sociétés européennes et des normes internationales dans ce domaine ainsi que des conséquences produites, dans une situation donnée, par l’application de cette législation »

Lorsque la Cour parle du besoin d’un « examen constant » c’est parce que la requête soulevée par les travailleurSEs du sexe est sérieuse et que les violations aux droits humains sont réelles.
Faut-il sacrifier les travailleurSEs du sexe sur l’autel d’une politique qui ne fonctionne pas ? Et dont l’évaluation sur les personnes n’a jamais été réalisée par l’Assemblée nationale, pourtant en charge d’évaluer les lois ? Ou simplement, pour asseoir une norme de société et des principes moraux par pure idéologie ? Est-ce que pour imposer une idée, que « la prostitution » serait moralement condamnable, il faut mettre en danger, comme c’est le cas aujourd’hui, les personnes qui l’exercent ?

L’évolution des sociétés européennes et internationales vont de + en + vers le principe de la décriminalisation, comme en Nouvelle-Zélande, Australie, Belgique, avec application du droit commun afin de protéger les droits des travailleurSEs du sexe, et le maintien de l’arsenal législatif faisant consensus contre la traite des êtres humains, les violences, et l’exploitation.

Nous en appelons donc aux parlementaires, pour qu’enfin vous vous saisissiez du sujet, après plus de 8 années d’une loi catastrophique, et ne plus laisser les militants anti-droits bloquer tout débat, et toute évaluation objective de son impact sur nos vies, pourtant reconnu par la CEDH.

 

Dans l’attente d’une réponse rapide et favorable, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, la/le députée, l’expression de nos sentiments les meilleurs.

 

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