Évoquer le travail du sexe dans ses multiples réalités sans la réduire, comme on le fait trop souvent, à un seul de ses aspects, c’est refuser de vouloir faire une synthèse mirobolante ou misérabiliste de ses facettes contradictoires.
Parler du travail du sexe est difficile, car le dire, parce qu’on l’exerce, c’est immanquablement évoquer sa propre intimité, alors que le discours sur le travail du sexe tente souvent de l’aborder en faisant parler un imaginaire et des représentations de ce qu’il y a de plus sordide, de plus lointain du quotidien de tout un chacun, de plus aliéné, de plus extravagant.
Je me contenterai donc dans ce texte de donner quelques flashes sur ce qu’est pour moi le travail du sexe, sans effacer, sous un discours lisse, ses contradictions et en désignant par petites touches comment, avec une certaine délicatesse, on pourrait la considérer.
Le travail du sexe c’est…une paire de seins dévoilés, une minijupe, des hauts talons…nos entrecuisses…qui peuvent émouvoir les hommes. Travailleuses du sexe, nous sommes détentrices d’un pouvoir sur les hommes. Se prostituer c’est par exemple, entrer dans un bar, se faire offrir un verre, se faire courtiser…se sentir une personne dans le regard d’un homme que ce soit pour un moment fugace ou dans une certaine
régularité.
Mais entrer dans le travail du sexe n’est pas qu’affaire de pouvoir et de séduction…c’est aussi le lot de beaucoup de femmes qui y viennent à cause de la pauvreté; c’est donc bien la pauvreté qu’il faut abolir, car rien ne sert de nier que si elles en avaient le choix, beaucoup de femmes n’entreraient pas dans le travail du sexe.
Choix contraint? Oui…parfois…Je ne dirais pas aux filles-ni aux garçons du reste d’entrer dans le travail du sexe. Mais si ces personnes décident d’entrer dans le travail du sexe, pour éviter l’assistance, pour ne pas se faire marginaliser davantage, si elles font le choix de gagner ainsi leur vie, reconnaissons alors que le travail du sexe est une manière de faire: elle peut permettre à sa famille de vivre décemment. Choix fait dans les contraintes réelles de la société, elle doit alors pouvoir s’exercer en toute légalité dans cette société réelle et ce choix doit être reconnu comme un métier. C’est bien la reconnaissance légale qui permet de se prémunir de la contrainte, du proxénétisme forcé, des mauvais traitements…toutes conditions d’exercice du travail du sexe qui forcent à travailler cachées, empêchant les femmes d’être protégées. Choix contraint?… oui … parfois … mais tant d’autres choix sont également contraints … La caissière de grande surface, la travailleuse à la chaine,les petits salaires,le peu de considération, la pression dans le travail sont monnaie courante et mènent parfois à … préférer le travail du sexe, car elle n’a, à cet égard, rien de bien particulier ou de remarquablement plus aigu à montrer.
Pourtant pour une travailleuse du sexe, dire qu’elle « fait des clients » c’est automatiquement se mettre à l’écart de la société et de ses normes, même lorsque les lois réglementent plus qu’elles n’interdisent. Ainsi, même si un cadre légal limite les abus ,le regard porté sur nous, empêche nombre d’entre nous de parler à visage découvert, de s’assumer pleinement aux yeux des proches ou de l’administration, ou de tiers hors du travail du sexe…
Pourtant, au regard de la société encore, aller aux « putes » n’est qu’un acte banal, admis. Il y a donc deux poids deux mesures, une sorte de schizophrénie, que l’on retrouve du reste chez certains clients qui paient parce qu’ils achètent ce service sexuel et qui finissent, une fois la relation établie, par affirmer que les travailleuses du sexe ne devraient pas être dans le travail du sexe.
C’est au fond comme si, chez certains clients, leur pratique du travail du sexe ne changeait pas l’image qu’ils se font du travail du sexe. Une image où elles sont toutes des victimes, même si la transaction concrète ne ressemble pas à cette image…Ce double standard, où les travailleuses du sexe ne devraient pas exercer, et les clients ne pas acheter, n’aide pas à désembourber les débats sur le travail du sexe et à assurer aux femmes une protection digne de ce nom.
Je ne demande donc rien d’autre au fond…qu’un peu de réalisme, ou est-ce un peu d’honnêteté?
Claudette Plumey
Présidente de ProCoRe. (Prostitution-Collectif-Réflexion : http://www.prokore.ch )