Discours à l’occasion du rassemblement contre l’homophobie devant l’Assemblée Nationale

Bonjour, je m’appelle Thierry Schaffauser, je suis pédé, pute, et usager de drogues, et je suis là aujourd’hui en tant que porte-parole pour le STRASS, syndicat du travail sexuel, qui m’a demandé de le représenter au vu de l’actualité sanitaire qui touche surtout les hommes TDS.

Il paraitrait que ces gens-là, du gouvernement, tiennent des propos homophobes à l’encontre des gens comme nous.

Après les nombreux propos classistes du président lui-même, le maintien des ministres accusés de viol, la loi séparatisme contre la communauté musulmane et la dissolution du CCIF, des propos homophobes tenus par des ministres ne sont pas très étonnants, et je devine déjà que nos protestations n’y changeront rien.

Ce qui est pour le moins inquiétant, ce ne sont pas tant quelques paroles, mais ce qu’elles révèlent d’un système de domination, d’un régime politique que Monique Wittig appelait l’hétérosexualité, ou que d’autres nomment patriarcat.

Le néolibéralisme autoritaire s’accommode très bien des gens comme nous, lorsque nous sommes une capacité productive dans l’entreprise, que la diversité rapporte en termes de création et d’innovation, tandis que la discrimination peut être couteuse économiquement. Nous en sommes donc au règne du gender mainstreaming et du pinkwashing et des promesses d’égalité.

Cela ne veut pas dire que l’homophobie disparait, mais que nous passons à un système patriarcal qui s’est adapté, ne nous considérant plus nécessairement comme une menace pour l’ordre familial, base de la reproduction sociale utile au bon fonctionnement de l’économie, mais comme ayant une fonction matérielle qu’on peut exploiter, à condition de s’intégrer à ce nouveau modèle.

Or, cette recomposition du champ sexuel, se fait en partie contre les gens de notre communauté qui n’accèdent pas au rêve de l’égalité des droits. Les queers de couleurs, les putes, les personnes trans et non binaires ne peuvent pas prétendre à l’égalité avec les classes moyennes hétérosexuelles blanches. L’égalité des droits était peut-être une étape nécessaire au sortir du pire de la crise du sida mais un renoncement en comparaison de l’agenda révolutionnaire de libération des années 1970, contre le mariage, contre la famille, contre la reproduction, l’héritage, et la transmission du patrimoine.

Aujourd’hui, nous en sommes réduits à ne plus être des sujets révolutionnaires aux subjectivités combattantes, mais des victimes de discriminations à protéger, qu’on invite à parler, à témoigner, à porter plainte, alors même que tout le système policier et judiciaire est vicié et notoirement dysfonctionnel, en particulier pour celles et ceux qui restent les mauvais sujets du féminisme d’état et des politiques LGBT non plus définies par nous-mêmes mais par Marlène Schiappa, se voulant la grande marraine protectrice des petits lapinous et chatons que nous serions. Fini l’autodéfense. Fini la réappropriation des insultes censurées par Facebook et Twitter depuis la loi Avia. Il faut dorénavant télécharger l’application du FLAG et faire confiance dans la police et dans la république universaliste.

Sauf que, cette république universelle ne nous a jamais protégé, bien au contraire. Dès la naissance, nos familles ont tout droit de nous imposer le prosélytisme de la pensée straight à travers l’exigence d’avoir un petit ou petite amoureuse de « l’autre sexe » dès la maternelle, avec des histoires et des contes de fées, des codes couleurs, des jouets et des jeux incitant à l’assignation de genre. Lorsqu’à 7 ans, dit âge de raison, on se retrouve déshabillé de force dans une cours de récré pour vérifier si on est un garçon ou une fille, et qu’on rentre avec un œil au beurre noir à la maison, on ne trouve pas de réconfort mais de la gêne à ce que son fils soit traité de fillette, femmelette, fille manquée, pour jouer à l’élastique ou la corde à sauter jaune fluo avec les filles et pas les autres garçons. Il faut retourner à l’école avec un ballon de foot dans les mains pour s’intégrer à la classe des hommes. L’école républicaine ne nous protège pas, bien au contraire, puisqu’elle reste fondamentalement un bastion de l’homophobie où on protège les enfants de ladite propagande LGBT et des dites théories du genre, comme si la 1ère des théories du genre n’était pas le mythe de la complémentarité des sexes tout droit sorti de la genèse et de l’arche de Noé qu’on nous fait bouffer à longueur de temps.

A l’adolescence, les cours de biologie nous apprennent que les hétérosexuels ont des rapports sexuels seulement pour se reproduire, tandis que notre destin est d’avoir le sida. « De toute façon toi tu crèveras du sida ». Et quand les gouvernements successifs censurent des campagnes de prévention grand public qui montrent deux paires de chaussures d’hommes au pied d’un lit, écoulent les lots non chauffés de sang contaminé, refusent de décriminaliser l’usage de drogues, ou le travail sexuel, entre autres nombreux exemples, on comprend très bien que la république dite universelle nous préfère mortes, et que sans la mobilisation communautaire nous serions mortes. Si à 15 ans, je n’avais pas rencontré des militants d’Act Up-Paris défigurés par la lipodystrophie et avec un œil en moins à cause du CMV me faisant promettre « si tu ne veux pas finir comme moi mets toujours des préservatifs à chaque rapport sexuel », j’aurais sans doute connu la première ligne de traitement ARV avec tous les effets indésirables que cela implique.

L’expérience dite du placard qui peut durer des années entières et conduire au suicide, est encouragée lorsque ceux qui affirment leur identité dans l’espace public sont systématiquement pris pour cible, accusés de provocation pour une simple expression de genre non hétéronormative ou la simple affirmation de ce que l’on est. Trois mots suffisent : « je suis PD ». Ces deux lettres P D gravés dans l’ascenseur de l’immeuble avec son nom de famille, et on se trouve à nouveau accusé « tu avais vraiment besoin de raconter ça à tout le monde, voilà ce qui arrive, et faire subir ça même à tes grands parents ».

A 18 ans et un jour quand il faut partir comme dans la chanson smalltownboy, le travail sexuel devient vite une ressource économique pour beaucoup de jeunes LGBT qui se réfugient dans la grande ville ou la capitale et qui n’ont pas le soutien de leur famille pour payer leur loyer et leurs études. Avec la crise du monkeypox, j’ai l’occasion de vous parler des conditions matérielles d’existence des travailleurSEs du sexe LGBT, souvent + précarisés, avec un bien moindre pouvoir de négociation du port du préservatif, et devant s’adapter aux exigences de performance de nos cultures sexuelles, être disponible tard dans la nuit quand plus personne n’est prêt à se déplacer à part les escortes, chemsex, bareback, partouze, il faut du temps de récupération, avoir assez mangé pour ne pas vomir sa PrEP, quand on ne nous demande pas d’apporter nous-mêmes les produits. C’est dans ce contexte déjà rendu difficile par la pénalisation des clients, les différentes crises sanitaires IST et COVID qu’apparait en + la variole du singe.

Depuis le mois de mai nous vivons dans la peur, et avons vu les 1ers cas autour de nous. Pas de quoi s’inquiéter nous dit-on, ça ne touche que les homosexuels, ce qui rappelle une histoire déjà bien connue. La DGS nous dit qu’il y a 30000 doses, qu’ils peuvent en commander + mais qu’il y a des difficultés de recrutement de personnel en période estivale. Nous savons bien néanmoins que le manque de personnel n’est pas dû à la « période estivale » mais à des années de politiques néolibérales de destruction des services publics qu’il est hors de question de changer. Nous avons le sentiment que pour le gouvernement, ce n’est pas bien grave si ces gens là se retrouvent avec plein de boutons qui nous rappellent le sarcome de Kaposi, on ne va quand même pas dépenser autant d’argent pour les gays, les trans et les putes, alors qu’on n’embauche pas en temps normal pour des maladies bien plus graves. On fait semblant de ne pas connaitre les cultures sexuelles gays : il n’y aurait que 250,000 HSH multipartenaires en France, cela ne concerne pas tous les homosexuels. Aucune comptabilité sérieuse pour les trans et les travailleurSEs du sexe qui ne sont même pas intégrés dans le chiffre de la population cible. Aucune indemnisation n’est prévue pour les personnes exclues des systèmes de protection sociale travaillant dans l’économie informelle. Pendant la crise COVID, il a fallu attendre un an pour obtenir des chèques service en quantité insuffisante. Et comme d’habitude il faut se mobiliser et compter sur la solidarité intracommunautaire et la débrouille avec des médecins militants pour obtenir des places de vaccination.

Nous ne sommes pas payés, et pendant que certains partent en vacances nous allons jour comme nuit à la rencontre des collègues les plus exclues des soins pour les sensibiliser et les aider à obtenir un créneau pour un vaccin. Parce que non, quand on travaille au bois, on n’a pas le temps de passer sa journée sur doctolib à vérifier qu’un potentiel espace se libère. On ne peut pas demander au client qui passe d’attendre pour remplir sa demande de rendez vous et de toute façon on n’a pas de téléphone samsung avec applications au bois parce qu’on se les fait voler et qu’on garde les vieux modèles pourris qu’on a récupéré.

Quand j’ai commencé à travailler dans la rue à la porte Dauphine, je savais que la république ne me protégeait pas car des policiers m’avaient bien expliqué qu’avec la nouvelle loi Sarkozy sur le racolage qui arrivait, ma présence n’était pas désirée et que si on me retrouvait la gueule en sang dans le caniveau ce serait de ma propre faute car on m’aurait prévenu de ne pas être là. On nous explique depuis toujours que la prostitution est une violence en soi, si on continue de l’exercer malgré tout, on mérite donc ces violences. Comme quand on sort tard la nuit dans la rue sans la protection d’un homme en tenue indécente et qu’on se fait violer. C’est notre faute.

Quand je me suis fait agresser à plusieurs reprises, je n’ai pas porté plainte car je savais que ça ne servirait à rien si ce n’est prendre encore plus de risques avec la police. Le week-end était les pires soirées car des mecs se divertissaient en nous jetant des canettes de bière à la gueule depuis leur voiture en nous traitant de pédé. On n’avait pas droit à des gardes du corps comme le maire de Paris, ils le savaient très bien et c’était donc + facile d’exprimer leur homophobie avec nous. Je n’avais même pas spécialement de colère pour mes agresseurs, mais pour la société qui normalisait le fait que la violence fait partie inhérente de la prostitution et que c’est donc normal d’agresser des putes. Eux-mêmes ne voyaient pas le problème dans le fait de nous reprendre l’argent parce qu’en vrai, ils ne devraient pas avoir à payer pour ça. Pour nous, le viol ce n’est pas quand on est payé, mais quand on n’est pas payés. Mais les plaintes pour viol refusés par les flics parce que « t’as qu’à arrêter ce que tu fais et ça ne t’arrivera plus » personne ne proteste contre ça.

A ce sujet, le STRASS et la Fédération Parapluie Rouge a envoyé un courrier à tous les députéEs, et on a besoin de votre soutien pour une évaluation de la loi de 2016 qui nous précarise à mort et n’a eu aucun effet escompté contre la traite des êtres humains ni l’exploitation des mineurs. Tout comme on a besoin que les maires de gauche et écologistes abrogent immédiatement et sans attendre les arrêtés anti-putes dans les communes qu’ils dirigent.

Alors nous sommes invités aujourd’hui par des militants de gauche et écologistes à protester contre l’homophobie du gouvernement, pourtant celle-ci se porte très bien à gauche aussi. A titre personnel, j’en ai été témoin en particulier dans la vie politique, puisque la conquête du pouvoir justifie tout, y compris la discrimination. A gauche aussi on peut être témoin d’homophobie, par exemple quand on nous accuse de soutenir la marchandisation du corps des femmes, via la prostitution et la GPA, juste parce qu’on est travailleur du sexe ou gay, alors même qu’on est pour la décroissance démographique, et que la majorité des GPA sont faites par des couples hétéros. On peut entendre qu’on a perdu des électeurs à cause du mariage de Bègles, qu’il faut un principe de précaution pour la PMA, ou que poser en travesti sur une affiche électorale ne fait pas sérieux et va nous faire passer sous la barre des 5% pour être remboursés.

Notre présence en tant que militantEs associatifs et syndicaux aujourd’hui n’est donc pas une caution pour soutenir un quelconque agenda parlementaire, ni une caution à une certaine personne faisant carrière dans des associations transphobes et qui vient ensuite au rassemblement d’aujourd’hui se faire passer pour une militante LGBT qu’elles n’est pas. Mais nous sommes là pour rappeler que les luttes LGBTIQ sont avant tout des luttes sociales et que pour être un bon relais à l’Assemblée Nationale, il faut d’abord avoir le lien avec la base des mouvements sociaux.

Et maintenant pour conclure, puisque je n’attends pas grand-chose des homophobes qui nous gouvernent je vous dis :

Nique la république ! et nique la France !

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