Contribution du STRASS pour la visite 2025 du GRETA en France (Groupe d’experts européens sur la lutte contre la traite des êtres humains)
Le STRASS est le syndicat des travailleurSEs du sexe en France. Nous existons depuis 2009 et avons à cœur de lutter contre l’exploitation dans les industries du sexe sous toutes ses formes, y compris le travail forcé et la traite des êtres humains.
Amalgame entre le travail sexuel et la traite des êtres humains
Le plus grand problème en France concernant la lutte contre la traite, est qu’il s’agit en réalité principalement d’une lutte contre l’existence du travail sexuel, et contre la migration.
De ce fait, les politiques anti-traite ou plutôt anti-prostitution sont préjudiciables dans la lutte véritable contre la traite, entre autres exemples :
- La parole des travailleurSEs du sexe est systématiquement disqualifiée, y compris lorsque nous sommes victimes d’exploitation, car nous sommes considérées comme manipulées par des « proxénètes ». L’idée est que nous cherchons à protéger nos petits-amis appelés « loverboys » et à mentir sur les réalités de notre exploitation, parce que nous ne serions pas en mesure de comprendre par nous-mêmes être des victimes.
- En disqualifiant notre parole, et celle de nos clients, les pouvoirs publics empêchent des acteurs parmi les plus importants, à contribuer à l’identification des victimes, alors que nous sommes souvent les mieux placées pour se rendre compte quand une collègue est victime d’abus ou d’exploitation.
- L’état entretient une confusion entre personnes majeures et mineures, qui ne sont pas distinguées dans les réponses de la France à GRETA, et de manière générale, parce que le consentement des majeurs est invalidé comme celui des mineurs, notamment via la pénalisation des clients qui ne fait aucune distinction. Rappelons néanmoins qu’il est légal de vendre des services sexuels en France, et qu’une personne majeure a l’obligation de déclarer ses revenus tirés du travail sexuel à l’URSSAF et au fisc.
- Le rapport d’évaluation (IGAS 2020) explique qu’en conséquence de l’élargissement de la pénalisation des clients autrefois réservée aux mineurs, et depuis 2016 élargie aux clients de personnes majeures, il y a une diminution du nombre de clients verbalisés pour achat de services sexuels à des personnes mineures. C’est la même chose pour les victimes de traite, puisque la pénalisation de la demande pour des services sexuels vise tous les clients sans distinction, et jamais spécifiquement ceux des victimes de traite des êtres humains, ne créant ainsi aucun effet dissuasif. Au contraire, les clients évitent d’alerter les autorités lorsqu’ils observent une possible situation d’exploitation.
- Nous pensons qu’il faudrait distinguer le problème de l’exploitation des mineurs et celui de la traite des êtres humains, plutôt que d’amalgamer les deux, bien que ces situations peuvent s’entrecouper, la plupart des personnes mineures vendant du sexe en France identifiées sont françaises et ne correspondent pas nécessairement à une situation de traite dite domestique, ou de traite tout court, comme c’était autrefois le cas pour les adolescentes nigérianes. Cela peut brouiller la compréhension des phénomènes et donc des solutions à mettre en œuvre.
- Il y a un problème de définitions puisque c’est davantage l’infraction de « proxénétisme » qui est mobilisée par la police et la justice plutôt que celle de traite des êtres humains. Cela engendre une invisibilité et incompréhension des phénomènes, puisque la majorité des victimes identifiées sont françaises du fait de l’interdiction de louer à une travailleuse du sexe définie par les lois sur le « proxénétisme », même sans aucune forme de contrainte, ce qui nous éloigne de la définition de la traite.
- Il y a un manque de protection des victimes, notamment à cause de la condition d’arrêter le travail sexuel via ledit « parcours de sortie » ou de collaborer avec la police et la justice. Nous exigeons une protection inconditionnelle des victimes, car il n’y a pas de « mauvaises victimes », et qu’elles ont de bonnes raisons de ne pas vouloir/pouvoir porter plainte, ou de continuer d’exercer le travail sexuel.
- Les associations de travailleurSEs du sexe ne peuvent pas obtenir l’agrément pour le « parcours de sortie » car il faut présenter une décision d’AG explicitant que la « sortie de la prostitution » est une priorité de l’organisation, ce qui est évidemment inacceptable pour nos membres. Cela réduit l’accompagnement davantage vers des associations anti-prostitution qui amalgament le travail sexuel et la traite.
- La pénalisation de nos clients est en réalité une arme de nettoyage social et non de lutte contre la traite, puisqu’elle s’applique presqu’uniquement contre le travail sexuel de rue, en extérieur, alors que la majorité des affaires de « traite » ou de « proxénétisme » concerne la location d’appartements, et le travail sexuel en intérieur.
- La lutte contre la traite à présent se tourne vers la pénalisation de la communication et la visibilité en ligne des travailleurSEs du sexe, accuséEs d’être responsables de la traite à cause d’une prétendue glamourisation, y compris du travail sexuel virtuel type OnlyFans qui n’est pas défini comme de la « prostitution » et qui n’entre pas dans les définitions standard de la traite des êtres humains (Palermo 2000), mais permet de justifier la criminalisation de l’usage d’Internet et la location d’appartements.
- L’interdiction des sites spécialisés d’escorting ou les pratiques de censure en ligne ont contribué à l’essor de l’usage des réseaux sociaux pour rendre public le travail sexuel, démocratisant son usage plus accessible pour les mineurs, et rendant plus compliquée l’identification des victimes d’exploitation, en particulier lorsque les sites utilisés à présent sont hébergés à l’étranger dans des paradis fiscaux.
- Il faut prouver son identité et être majeur pour ouvrir un compte OnlyFans. Il n’y a pas de lien prouvé entre les contenus en ligne et ladite « prostitution » impliquant un contact sexuel direct avec un client. Par ailleurs, les personnes adultes en France ayant le droit de vendre des services sexuels, nous nous interrogeons sur le rapport avec la lutte contre la traite des êtres humains tel que développé par le gouvernement.
Pour aller plus loin dans la critique des dysfonctionnements et du manque de protection des victimes nous vous invitons également à lire ce rapport que nous avions rédigé pour CEDAW en 2023. https://strass-syndicat.org/wp-content/uploads/2023/09/Rapport-alternatif-CEDAW-FRENCH-version-longue.pdf
+ Vidéo atelier « instrumentalisation de la lutte contre la traite à des fins racistes » avec la participation de Tsedek :