VIOLS, ON ÉTOUFFE !

texte à l’initiative du conseil d’administration de l’association Grisélidis à Toulouse,

Soutenu par le Planning Familial, Cabiria, le STRASS, Act Up Paris et Act Up Sud-Ouest.: http://www.griselidis.com/)

Les viols concernent 75 000 femmes chaque année. Ce sont des sœurs, des mères, des filles, des copines, des collègues, des conjointes. Les agresseurs sont très majoritairement des hommes, des frères, des pères, des fils, des copains, des collègues, des conjoints.

Nous ne souhaitons pas vous parler de la douleur, de la peur, de la honte inhérente à chaque viol. En tant que concernées, qu’accompagnantes de femmes victimes de viols, nous voulons vous parler de ce qui se passe après, quand une femme violée se relève, quand elle décide de se rendre au commissariat. S’il n’y a qu’une femme sur dix qui porte plainte après avoir été violée, c’est non seulement à cause de la honte, de la douleur, de la peur mais c’est aussi à cause du mépris policier et judiciaire pour les femmes qui ont subi ces crimes. C’est un véritable parcours de la combattante pour celle qui décide de dénoncer et de poursuivre son ou ses violeurs, et qui va devoir affronter un système patriarcal sexiste et culpabilisant, où le stigmate de « celle qui l’a peut-être bien cherché » est présent à tous les niveaux.

Et parmi ces femmes, il y a des prostituées, des travailleuses du sexe, c’est-à-dire des femmes qui tarifent des services sexuels… Leurs clients sont très majoritairement des hommes. Alors comment reconnaitre un client d’un agresseur ? Un client c’est celui qui respecte le contrat. Un agresseur c’est celui qui ne respecte pas le contrat. Un agresseur c’est celui qui refuse de mettre un préservatif alors qu’elle l’a exigé, celui qui ne paye pas, celui qui frappe, celui qui menace avec une arme, celui qui blesse, viole, parfois tue ! Cette différence semble claire et pourtant les hommes de lois ne semblent pas aptes à saisir cette différence.

Comment sont traitées celles qui osent porter plainte

Les prostituées et les travailleuses du sexe, ainsi que les associations avec qui elles travaillent en ont marre de cette connivence masculine entre les policiers et les juges qui, non seulement mettent en doute la parole des femmes, n’instruisent pas les plaintes d’agression, n’enquêtent pas pour retrouver les agresseurs, n’arrêtent pas les agresseurs lorsqu’elles donnent leur adresse et leur signalement, mais en plus, requalifient la plainte pour viol en agression sexuelle. Parfois même, ils se substituent à la justice en proposant au violeur de payer la passe à la prostituée afin de régler la plainte « à l’amiable ». D’autres fois, la justice relâche les hommes reconnus coupables de viol aggravé en bande dans l’exercice de leur fonction de policier sur une prostituée (Nice). Enfin, et dans les cas les plus graves, c’est la femme qui se retrouve poursuivie pour défaut de papiers ou pour délit de racolage.

Paroles de femmes : «Depuis ma tentative de meurtre, je n’ai pas de nouvelles de la police alors que j’ai reconnu mon agresseur sur le fichier il y a plus d’un an », « J’ai une collègue escorte qui a porté plainte pour deux viols qu’elle a subi par le même agresseur, elle a été à la police, elle l’a identifié, il est toujours en liberté », « Les agresseurs (et proxénètes) d’une prostituée n’ont pas respecté le contrôle judicaire et leur injonction de rester à distance. Alors qu’ils l’agressent à nouveau, elle appelle la police qui ne déplace pas… », « J’ai parlé aux médias, pour leur dire que j’ai été violée et que la police n’a pas arrêtée mon agresseur. Depuis, la police me menace. »

Quasiment systématiquement, les dommages et intérêts des prostituées reconnues victimes par la justice sont revus à la baisse car la CIVI (Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions) qui considère qu’elles ont concouru à leur agression, comme si les violences faisaient partie des risques du métier.

Cette gestion du système policier et judiciaire sexiste et discriminatoire pour les prostituées nourrit un sentiment d’impunité chez les agresseurs et d’impuissance chez celles qui ont été agressées.

Le silence de celles qui ne portent pas plainte….

Chaque année, à Toulouse plus de 30 prostituées déclarent avoir subi un viol, la plupart du temps, elles ne portent pas plainte. Lorsque les violences et les viols ne sont pas dénoncés et lorsqu’ils ne sont pas reconnus par la justice le sentiment d’impunité des agresseurs augmente… Il est urgent que cela cesse !

Mais pourquoi ne portent-elles pas plainte ? Il y a bien sûr la culpabilité inhérente au fait de subir un viol, qui souvent empêche les victimes de parler. Il y aussi le mépris avec lequel certains policiers et certains juges traitent les affaires d’agression des travailleuses du sexe et des prostituées. La police se déplace difficilement quand les prostituées appellent le 17. Pourquoi aller porter plainte alors que les rares femmes qui ont osé dénoncer et demander réparation ont rarement été reconnues comme victimes par la justice ? Mais il y a deux obstacles principaux: la criminalisation de la prostitution et la criminalisation de l’immigration.

En effet, les politiques sécuritaires, anti-migration abolitionnistes/prohibitionnistes criminalisent les personnes prostituées et les migrant-e-s. En France, la Loi sur la Sécurité intérieure de 2003 a fait du racolage, même passif, un délit passible de 3750 euros d’amende et de deux mois d’emprisonnement. Les actions de solidarité et de soutien avec les prostituées, ainsi que la location d’un appartement ou d’une chambre d’hôtel à une prostituée sont considérées comme du proxénétisme. Si la prostitution est légale, tous les moyens de l’exercer sont en revanche réprimés par la loi. Les maires et les préfets participent aussi à la mascarade avec des arrêtés municipaux anti-stationnement dans la rue où les femmes tarifent des services sexuels en camionnette. Les prostituées se retrouvent obligées d’aller travailler hors agglomération, dans des lieux isolés où personne n’est là pour les aider en cas d’agression. Enfin, on ne compte plus les lois de restriction de l’immigration et d’immigration choisie qui sont très défavorables aux femmes issues des pays pauvres.

Les prostituées et travailleuses du sexe rapportent ainsi les paroles d’agents de la police et de juges: « Qu’est-ce que vous faites là ? C’est interdit ce que vous faites. Rentrez chez vous madame. C’est la faute de la fille, qu’est-ce qu’elle fait en France » (d’une prostituée qui a signalé la mort d’une collègue tuée par un client), « Quoi c’est juste un client qui t’a pas payé. Ce sont les risques du métier» (d’une prostituée qui a signalé le viol qu’elle vient de subir). Une prostituée d’origine Bulgare qui a signalé plusieurs agressions à la police nationale explique : « Plusieurs fois on appelle la police, elle ne vient pas. Alors les Bulgares elles n’appellent plus ».

Dans les faits, ces lois répressives et, pour certaines, spécifiques à la prostitution, restreignent l’accès des prostituées victimes au droit commun, c’est-à-dire au droit à la justice. Car les travailleuses du sexe ont peur d’aller porter plainte, peur qu’on profite de la situation pour les « ficher», peur d’être arrêtées pour racolage, peur d’être menées au centre de rétention pour défaut de papier lorsqu’elles iront porter plainte, et enfin peur qu’on leur retire leur titre de séjour, parfois conditionné à l’arrêt de la prostitution.

Les femmes qui tarifent des actes sexuels sont des femmes comme les autres… Comme toutes les femmes, elles sont souvent malmenées, maltraitées par le système politico-judiciaire mais elles le sont encore plus parce qu’elles sont migrantes et/ou prostituées.

Ni invisibles, ni disponibles, les prostituées réclament une égalité de traitement avec toutes les femmes, que les lois qui existent déjà pour toutes et tous soient appliquées comme l’a prévu le législateur et que le gouvernement cesse d’édicter des lois spécifiques qui stigmatisent et excluent les personnes prostituées du droit commun au prétexte de les « protéger ».

Le conseil d’administration de l’association Grisélidis à Toulouse.

Soutenu par le Planning Familial, Cabiria, le STRASS, Act Up Paris et Act Up Sud-Ouest.

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