Non aux recherches non éthiques sur les travailleurSEs du sexe !

Non aux recherches non éthiques sur les travailleurSEs du sexe !

Le Mouvement du Nid, vient une fois de plus, de publier une enquête sur notre population prétendant s’intéresser à notre santé alors que l’ensemble de leur rapport se contente de stigmatiser notre communauté, en nous pathologisant de manière essentialiste, au lieu de répondre à un quelconque besoin sanitaire.

Problème méthodologique :

Sur les 258 personnes interrogées, 81% n’exerçaient plus le travail sexuel. Pour quelle autre profession ou catégorie de la population fait on des études en interrogeant majoritairement des personnes qui ne sont plus concernées par l’activité ?

Cela signifie que seulement 55 personnes interrogées pour cette étude continuaient à être concernées par le travail sexuel, pour 70 accompagnateurs formés et mobilisés à la collecte de données, sur une période de deux ans. On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles il a été si difficile d’identifier des personnes concernées pour participer à cette enquête alors même que les deux associations à l’origine de celle-ci prétendent être des associations de terrain accompagnant des « milliers de personnes ».

Pour les entretiens dits qualitatifs, plus de la moitié des répondants (25 sur 45) étaient des accompagnants sans expérience du travail sexuel. Leurs citations se retrouvent ensuite majoritairement dans l’ensemble du rapport pour parler à la place des personnes concernées et leur faire dire en général l’inverse de ce qu’elles expriment au prétexte qu’elles ne comprennent pas encore ce qui leur arrive. Par exemple, plusieurs passages expliquent que les personnes concernées initialement n’identifient pas de problème de santé ou de mal être, (seules 25% disent avoir un mauvais état de santé), et finissent par reconnaitre ensuite un problème qui inclut dans la liste, entre autres exemples, le fait d’avoir des règles douloureuses, avoir parfois mal à la tête, ou du mal à dormir, comme si personne n’avait jamais eu un problème de santé ou subi une violence, ce qui inclut les violences psychologiques donc des insultes…

Il faut arriver aux dernières pages du rapport sur les « limites rencontrées » pour que soit explicité le fait que l’ensemble des répondants sont des personnes accompagnées par les structures à l’origine de l’enquête et qu’il existe donc un rapport de dépendance et de subordination puisque celles-ci ont besoin des aides apportées par l’association qu’elles fréquentent.

On comprend mieux pourquoi la majorité des répondants ne sont plus concernées par le travail sexuel, quand elles se révèlent être des personnes qui ont été accompagnées pour « une sortie de la prostitution ». Or, être usagère d’une association pour de telles démarches ou bien être bénéficiaire du dispositif étatique du « parcours de sortie » officiel, signifie être en relation de dépendance et de redevabilité à l’égard des associations agréées qui, présélectionnent, présentent, et défendent les dossiers dans les commissions départementales. Cela signifie un pouvoir considérable sur la vie des personnes quand cela peut ouvrir un droit au séjour et à une allocation mensuelle. Les conclusions du rapport le reconnaissent elles-mêmes : « les participantes à l’étude sont majoritairement engagées dans une démarche de réflexion sur leur situation et/ou dans une volonté de sortir de la prostitution, raisons pour lesquelles elles ont souvent cherché de l’aide auprès de nos structures, ce qui constitue un autre biais à prendre en compte »

Cette étude ne peut donc pas décemment prétendre être représentative de l’ensemble des personnes exerçant un travail sexuel en France, ce qu’elle admet elle-même : « Il importe de préciser que cette étude ne visait pas à constituer un échantillon représentatif de l’ensemble des personnes en situation prostitutionnelle ». Or, les résultats sont ensuite présentés dans la presse comme généralisables à l’ensemble de notre population.

Absence d’éthique :

Les personnes concernées ne sont utilisées que pour répondre à des questionnaires, méthode extractiviste qui ne prend pas en compte les besoins réels formulés par nos communautés. Les personnes concernées devraient être parties prenantes de la conception à l’évaluation des projets de recherche. La méthode participative ne peut pas être uniquement l’inclusion tokenistique de quelques personnes alibis, qui ne sont même plus concernées par le travail sexuel. Les objectifs de la recherche doivent être définis par les personnes elles-mêmes, en collaboration avec les chercheurs et non pas simplement être des objets de recherche.

La situation de dépendance et de redevabilité crée un biais considérable dans les réponses qu’on va apporter auprès des personnes qui nous accompagnent, qui posent les questions, qui anglent, et qui ré-interprètent ensuite les réponses quand elles ne sont pas satisfaisantes.

Le rapport affirme un lien de causalité entre des violences subies antérieurement à l’exercice du travail sexuel et l’exercice du travail sexuel lui-même, sans n’apporter aucune preuve ou explication. Cela permet ensuite de prétendre que les problèmes de santé mentale, reconnus comme étant une conséquence de violences subies, sont le fait direct de l’exercice du travail sexuel, sans jamais distinguer violences et exercice du travail sexuel, puisque la « prostitution » est tout le long du rapport amalgamée à une violence en soi.

78% des personnes interrogées sont arrivées sans papiers en France, et beaucoup des violences subies par les femmes migrantes le sont au cours de leur parcours migratoire, sans que cela ait un lien quelconque avec l’exercice du travail sexuel. Or, le rapport amalgame la situation de migration, de violences antérieures, ou durant un parcours migratoire, ainsi que les problématiques de traite et d’exploitation, à l’exercice du travail sexuel en tant que tel, sans jamais distinguer ces différentes situations et comment elles peuvent chacune contribuer à exposer à des violences.

Il n’y a aucune distinction entre l’exercice d’un travail sexuel en soi, et les conditions matérielles dans lesquelles on l’exerce. Par exemple 65% des répondantes disent avoir subi des violences de la part d’un proxénète, comme si c’était une réalité transposable à l’ensemble des travailleuses du sexe en France, sans jamais aucune comparaison qui permettrait de distinguer l’état de santé mentale selon qu’on a été victime d’exploitation, de travail forcé, exposée à des violences ou non, et donc permettant d’identifier les causes réelles des troubles. Au lieu de cela, le rapport propose de condamner toute forme de « prostitution » sans distinction, ni réflexion sur les causes réelles des problèmes.

Problème politique :

Le Mouvement du Nid communique sur ce rapport en mettant en avant une citation issue d’un colloque en 1992 au lieu d’une citation d’une personne concernée interrogée dans le cadre de cette enquête. Cela peut paraitre étrange, mais c’est une façon de pouvoir critiquer les associations de santé communautaire, au sein desquels les travailleurSEs du sexe se mobilisent depuis des décennies, et qui d’après eux, se concentreraient principalement sur la santé sexuelle au détriment des autres problématiques de santé, dont la santé mentale. Ceci est évidemment faux. Que les pouvoirs publics ne s’intéressent et ne financent que la santé sexuelle est un fait, mais qui ne dépend pas des travailleurSEs du sexe, ni de nos associations.

Le Mouvement du Nid parvient à faire un rapport sur la santé qui ne dit finalement rien sur notre santé globale. Il ne s’intéresse qu’à notre santé mentale dans le but de nous pathologiser et de nier notre capacité de discernement sur nos propres besoins et réalités afin de justifier la mainmise des accompagnateurs. Il n’y a rien sur le COVID, rien sur le MKpox, rien sur les différentes crises récentes qui ont pourtant eu un impact considérable sur nos communautés. Il n’y a rien sur l’histoire des mobilisations des travailleurSEs du sexe en faveur de la santé qui sont pourtant reconnues internationalement.

Il n’y a rien sur les revendications formulées par les travailleurSEs du sexe en matière de santé : rien sur la protection sociale en dehors d’une phrase sur l’Aide Médicale d’Etat, très peu sur l’accès aux soins, rien sur le non-jugement et la non-discrimination en particulier sur la santé mentale qui est un des freins majeurs pour les travailleurSEs du sexe, en particulier pour éviter les praticiens putophobes qui reprennent tous les clichés véhiculés par le Nid.

Il n’y a rien sur la régularisation de tous les sans papiers, alors même que les trois quart des répondantes sont arrivées sans papiers en France, et pour cause, le Mouvement du Nid a toujours défendu le « cas par cas » par peur qu’une régularisation massive de toutes les travailleurSEs du sexe sans papiers crée un « appel d’air » soi-disant favorable à la traite des êtres humains.

Le rapport ose recommander un renforcement de la loi de 2016 alors que celle-ci est unanimement dénoncée par l’ensemble de la communauté des travailleurSEs du sexe, et des professionnels de la santé, notamment son volet répressif pour son impact préjudiciable sur notre santé. Y compris le volet dit social du « parcours de sortie » est une forme de chantage et de contrôle puisque les autorisations provisoires de séjour de 6 mois sont accordées à l’appréciation des préfectures, sous condition d’arrêt d’une activité légale et fiscalement imposable.

Ce rapport est l’exemple type de ce qu’il ne faut pas faire. Une recherche non éthique, qui n’a que pour but de servir un agenda politique de condamnation morale de « la prostitution », en instrumentalisant un besoin pourtant essentiel de nos communautés, à savoir notre santé, et qui au final, efface totalement nos besoins réels.

Nous dénonçons par ailleurs la complicité :

  • des médias qui diffusent sans investigation, ni vérification, ni sens critique les affirmations et données mensongères ou tronquées
  • celle des autorités sanitaires et pouvoirs publics qui financent ce genre d’études qui n’apportent rien d’autre qu’une stigmatisation supplémentaire, alors que nous manquons de données dans plein de domaines, dont celui de la santé mentale
  • du monde académique et universitaire qui laisse faire sans rien dire, qui ne dénonce pas les manquements éthiques et méthodologiques, ce que nous sommes obligées de faire à leur place, et qui continue en encourageant leurs étudiants, à reproduire de vieilles méthodes extractivistes dont nous ne voulons plus

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