Les putes votent, les putes luttent

Avec la dissolution de l’Assemblée Nationale, les partis politiques se remettent en campagne et remettent au goût du jour leur programme. D’ores et déjà, nous savons que nous sommes, une fois de plus, les grandes oubliées puisque personne n’a daigné nous rencontrer pendant la campagne des européennes, et que notre simple existence est considérée comme un « sujet clivant ».

Il y a deux ans, le programme de la NUPES défendait « l’abolition de la prostitution », sans jamais définir le concept, qui a bien évolué depuis Josephine Butler et Yves Guyot (19ème siècle), devenant au début du 21ème siècle un prohibitionnisme hérité de l’hygiénisme social suédois. Le programme disait s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée sur les questions de pénalisation : celle-ci n’a strictement rien fait, même pas une tentative d’évaluation de la loi largement décriée.

Une fois de plus, tout le monde s’attend à ce que les travailleurSEs du sexe sacrifient leurs propres intérêts au nom de l’union de la gauche. Pourtant, c’est la gauche qui est responsable de la pire des lois anti-TDS votée ces 20 dernières années, avec des conséquences pires que celle du délit de racolage public de Sarkozy en matière de précarité et d’insécurité, allant jusqu’aux viols et meurtres : rien qu’à Paris, une travailleuse du sexe est assassinée tous les 2 ans.

Le groupe de travail « prostitution » de l’Assemblée Nationale a été laissé aux mains du RN, malgré nos alertes, et sans aucune forme de protestation. La gauche y a envoyé siéger principalement des parlementaires prohibitionnistes qui n’ont jamais cherché à dialoguer avec nous. Lors de notre audition, aucun parlementaire de gauche n’était présent pour nous écouter. La gauche parlementaire nous a exclu de tous les espaces féministes institutionnels comme le Haut Conseil à l’Egalité créé spécialement contre nous, a validé les pires recommandations contre nous, a maintenu les arrêtés municipaux anti-prostitution dans les villes qu’elle détient.

Parfois, des élus de gauche ont signé des tribunes invalidant notre capacité de consentement, rejetant le droit du travail et les droits syndicaux, notamment l’idée même de contrat de travail dans l’industrie du sexe, y compris dans l’industrie pornographique parfaitement légale. Depuis toujours, la plupart des élus de gauche nie l’existence même de notre mouvement qui fêtera cependant ses 50 ans l’an prochain, diffamant nos organisations de « lobby proxénète » pour mieux rejeter ensuite les subventions à nos associations. Depuis des décennies, la gauche a abandonné les travailleurSEs du sexe en défendant un régime particulier en dehors du droit commun réduisant ainsi l’accompagnement social à un dit « parcours de sortie » notoirement dysfonctionnel et inadapté à nos besoins, en particulier en période de crise sanitaire (COVID, MKpox), et qui sert davantage de contrôle social sur nos vies et de chantage de la part des préfectures.

Comment s’étonner ensuite que de nombreuses travailleurSEs du sexe, par désespoir et résignation face aux attaques de la gauche contre nous, préfèrent voter pour le RN, comme toute une partie des classes populaires qui se sentent abandonnées ? Le RN a voté contre la pénalisation des clients au parlement. Il a nommé des travailleurSEs du sexe candidats à différentes élections, et a même un député ouvertement ancien acteur porno, ce que jamais la gauche n’a réussi à faire. Quand l’extrême droite dit qu’elle ne veut pas empêcher de travailler des personnes qui contribuent au système en payant cotisations et impôts, au lieu de les forcer à toucher des allocations avec lesquelles on ne peut pas vivre décemment, cela séduit une partie de notre communauté. Comment convaincre ces collègues qui votent RN en trois semaines si la gauche insiste dans sa putophobie ? Cela fait des années que nous effectuons ce travail de terrain mais nous ne pouvons pas réussir si nous sommes sabotéEs et trahiEs en permanence.

Lors des dernières présidentielles et législatives, beaucoup d’entre nous avons fait barrage et avons voté utile et antifasciste dès le premier tour pour des candidats qui défendaient néanmoins la criminalisation du travail sexuel. Nous n’y avions rien à gagner et beaucoup à perdre. Nous l’avons fait parce que nous sommes aussi des mères célibataires qui pensent à leurs enfants, qui pensent à nos amiEs, à nos camarades, à notre appartenance de classe. Nous le faisons, parce que nous subissons des oppressions multiples en dehors du travail, qui expliquent en partie pourquoi le travail sexuel est une ressource économique pour nous. Nous ne pouvons pas nous séparer de ce que nous sommes, nous ne pouvons pas nous permettre l’égoïsme et la désinvolture quand parmi nous, certaines n’ont pas le droit de vote ou ont perdu la force de l’exercer.

Parce que nous sommes des femmes, des minorités sexuelles et de genre, et des personnes issues de toutes les minorités. Parce que nous sommes des étudiantEs et des jeunes précaires. Parce que nous avons besoin de sauver l’autodétermination de genre, avec changement d’état civil libre sans passer par des juges. Parce que nous devons sauver l’Aide Médicale d’Etat et le droit au séjour pour soins. Parce qu’il faut garantir le droit au séjour et au logement pour toutes les victimes de traite des êtres humains sans condition d’arrêt du travail sexuel. Parce qu’il faut une politique de réduction des risques et une décriminalisation de l’usage des drogues. Parce que nous avons besoin d’un accès effectif et gratuit à l’avortement, contraception, et tous les soins en santé sexuelle et reproductive, VIH &IST. Parce que nous défendons la régularisation de tous les sans-papiers. Parce que nous refusons les violences policières allant jusqu’au meurtre de nos enfants. Parce que nous ne pouvons pas fermer les yeux face au génocide et à la colonisation. Pour une retraite à 60 ans, parce que nous savons ce que signifie ne pas avoir droit à la retraite, au droit du travail, ni à la protection sociale.

Parce que nous sommes le lumpenprolétariat et les damnéEs de la terre.

Nous voterons #frontpopulaire même s’ils ne méritent pas notre vote.

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