Décriminalisez entièrement le travail du sexe

En France, officiellement, le travail du sexe est légal. Ce qui est illégal est le racolage ainsi que le proxénétisme, y compris le proxénétisme de soutien, qui ne criminalise ni la violence ni la coercition mais tout acte d’aide à la prostitution, même entre prostitués.

Cela signifie concrètement que le travail du sexe bien que soumis à l’impôt, n’est pas considéré comme un travail, mais comme de la prostitution, une activité tolérée, réduite à la sphère privée, et dont celles et ceux qui fournissent le service sexuel, sont toujours considérés comme inadaptés sociaux depuis les ordonnances de 1960 qui faisaient également de la tuberculose, de l’alcoolisme et de l’homosexualité des fléaux sociaux.
Si nous pouvons donc vendre des services sexuels, ou plutôt si nous pouvons avoir des amants qui nous donnent de l’argent, nous n’avons pas le droit de passer de petites annonces, de racoler nos clients dans la rue, de louer un endroit pour travailler, de nous prêter l’usage d’une camionnette, ou de tout autre acte de solidarité entre nous, sans reconnaissance de droits en tant que travailleur ou de citoyen puisque les discriminations et dénis de droits de la part de la police, de la justice et de l’administration sont nombreux.
Beaucoup a été dit sur la volonté du gouvernement de nettoyer au Kärcher les rues de notre présence pour assurer la « tranquillité publique », ou d’utiliser la lutte contre le racolage comme moyen de lutter contre l’immigration. Or, l’argument principal justifiant la criminalisation des travailleurs du sexe, eux et elles-mêmes, est de deux ordres : il s’agirait de porter un coup aux profits de nos soi-disant proxénètes en décourageant l’activité de prostitution, et de nous diriger (de force) vers les associations travaillant à notre réinsertion sociale. En effet, lorsque nous sommes arrêtés pour racolage, nous sommes fortement conseillés par la police de nous rendre auprès d’associations travaillant avec et pour l’Etat et qui conditionnent pour la plupart leur « aide » à l’arrêt de la prostitution.
SYSTÈME ABOLITIONNISTE
Nous sommes donc depuis plus de cinquante ans dans un système abolitionniste, qui souhaite la disparition de la prostitution, officiellement sans s’attaquer aux travailleurs du sexe, mais qui dans les faits continue de nous criminaliser et nous réduit à un statut de non-citoyen, n’ayant pas la capacité de décider pour lui-même du bienfondé de ses actes et dont l’Etat a à sa charge la réinsertion sociale.
Les deux points justifiant notre criminalisation, même indirecte, reposent pourtant sur une méconnaissance des réalités de notre travail. La notion de proxénétisme est en effet floue puisqu’elle inclut légalement des actes qui ne correspondent pas aux descriptions de violence et d’abus. En lisant attentivement chaque cas régulièrement cité dans la presse de faits divers, la majorité des condamnations pour proxénétisme se porte bien plus contre les travailleurs du sexe que sur les personnes exploitant notre travail.
Aussi, en criminalisant l’organisation du travail sexuel, le racolage, ou le proxénétisme hôtelier, sous prétexte d’empêcher notre exploitation, nous nous retrouvons à devoir accepter les règles du marché noir, sans régulation ni protection, sans recours auprès de la police en cas d’agression, ou des prud’hommes en cas d’exploitation, et de travailler dans les pires conditions, en devant souvent payer les coûts supplémentaires causés par la prohibition, sans oublier les amendes et le racket de la police.
Quand on parle de proxénète, de qui donc parle-t-on ? Pour l’Etat, la plupart d’entre nous serions sous l’emprise de proxénètes, justifiant ainsi les lois répressives, et si l’on tient compte de la définition de la loi, en effet, toute personne avec qui nous avons des transactions économiques dans le cadre de notre travail ou non, toute personne qui bénéficie d’une partie de nos revenus, même au sein de nos familles et de nos proches, serait un proxénète.
Pour nous, le plus grand proxénète de France, c’est l’Etat lui-même. C’est l’Etat qui commet les actes de violence les plus graves à notre encontre et qui nous extorque le plus notre argent. Les arrestations, les gardes à vue, les fouilles au corps, les expulsions, les amendes, les impôts, le racket et la prison, c’est l’Etat français.
Un proxénète, pour les autres travailleurs, s’appelle simplement un employeur. Et si l’on compare l’industrie du sexe avec d’autres secteurs économiques, la part de revenus confisquée par un employeur sur le fruit du travail est souvent bien plus grande. Pour 35 heures de travail par semaine, la part de revenus tirée du travail du sexe sera souvent relativement plus importante. Où est donc l’exploitation ? Nous croyons qu’elle est partout et qu’elle définit tout travail. Mais en focalisant uniquement sur le travail du sexe qui serait défini comme « exploitation sexuelle » a contrario de travail, on fait comme si le travail n’était pas non plus une forme d’exploitation.
RECONNAISSANCE DU TRAVAIL
Lutter contre l’exploitation se fait par l’arrêt de la prohibition et la reconnaissance du travail ouvrant ainsi les mêmes droits sociaux dont bénéficie tout travailleur. La notion de travail ne normalise ni ne relativise les problèmes de violence et d’exploitation qui peuvent se tenir lors d’une activité professionnelle. Elle permet simplement d’apporter des solutions qui sont habituellement adoptées grâce aux lois et code du travail. Les problèmes d’abus et de travail forcé existent dans les secteurs économiques qui sont les plus dévalorisés et qui opèrent à la limite de la légalité ou dans l’illégalité. L’exploitation d’une main d’œuvre souvent d’étrangers sans papiers n’est pas le fait de la nature du travail mais de l’illégalité de leur statut. Le travail du sexe en tant que tel n’a donc pas vocation à être exercé sous la contrainte ou assimilé à de la « traite des êtres humains » contrairement aux définitions de l’Etat et des organisations prohibitionnistes.
L’accès aux services sociaux et à l’aide des associations doit être libre et respectueux du choix des personnes. Représenter tout travailleur du sexe comme une personne aliénée et esclave est en contradiction avec nos réalités, et ne permet pas d’apporter les solutions nécessaires aux problèmes que nous rencontrons, puisque le travail du sexe est pour nous bien plus une solution économique souvent temporaire à un moment donné de notre vie, et non la cause de tous nos maux.
Récemment, deux rapports ont été émis appelant à la décriminalisation du travail sexuel. Il s’agit du rapport du Conseil national du sida (CNS) qui voit la criminalisation du racolage comme une entrave directe à l’accès aux soins et à la prévention du VIH et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui dans son avis sur la lutte contre la traite des êtres humains, en plus de la décriminalisation, demande que les violations des droits humains faites à l’encontre des travailleurs du sexe soient traitées par les provisions générales des lois contre le viol, violences, exploitation, extorsion de revenus, et non plus par des lois spécifiques stigmatisantes telles celle sur le proxénétisme.
Alors qu’une mission parlementaire étudie actuellement les lois encadrant le travail sexuel, il serait décevant que nos politiques non seulement continuent de penser uniquement dans l’optique de la criminalisation mais en ajoute une supplémentaire en visant en particulier nos clients. C’est l’impression pourtant qui ressort de notre audition par cette mission parlementaire, et des questions de sa présidente, Danielle Bousquet, bien connue pour son militantisme en faveur de la criminalisation de nos clients. Nous espérons donc que cette consultation n’était pas qu’un maquillage politique pour justifier une décision déjà arrêtée depuis longtemps, et nous attendons la publication de son rapport pour le printemps prochain.
Thierry Schaffauser, travailleur du sexe, élu représentant syndical du Syndicat du travail sexuel (Strass)
Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/12/15/decriminalisez-entierement-le-travail-du-sexe_1453445_3232.html

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