[Canada] Déclaration de l’Institut Simone de Beauvoir – Une prise de position féministe sur le travail du sexe

Correspondante : Institut Simone de Beauvoir
Publié le : 02/11/2010 à 16h56
Catégorie : Communiqués

L’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia appuie le récent jugement de la juge Susan Himel de la Cour supérieure de justice de l’Ontario concernant les lois sur la prostitution du Canada.
Nous appuyons cette décision en tant que féministes et, plus particulièrement, en tant que féministes qui occupent une position de leadership dans le domaine de la sexualité. L’Institut Simone de Beauvoir a été fondé en 1978 et offre le plus ancien programme d’études féministes au Canada. Notre programme d’études féministes a été le premier à offrir un cours sur les études lesbiennes (1985); nous avons contribué à La Ville en Rose, un colloque international sur les études gaies et lesbiennes qui s’est tenu en 1992; et nous avons participé activement à la mise sur pied du premier cours de premier cycle dédié au VIH/SIDA donné dans une université canadienne (1994). Depuis 2006, nous offrons un cours optionnel intitulé «Framing the prostitute» (Encadrer la prostitution) qui explore les manières dont les débats sur la prostitution sont construits au sein des politiques publiques et des milieux féministes et militants.
Depuis plus de trente ans, l’Institut Simone de Beauvoir occupe une position de leader en ce qui a trait aux questions de sexualité. Notre position d’appui au jugement Himel s’inscrit donc dans une longue tradition d’actions et de réflexions en matière de sexualité.
Le contexte des lois sur la prostitution au Canada
L’échange de services sexuels contre de l’argent est entièrement légal au Canada. Cependant, la plupart des éléments impliqués par la prostitution sont criminalisés. Cela inclut :
• communiquer pour les besoins de la prostitution;
• être le propriétaire ou le fondateur d’une maison de débauche; et
• forcer une autre personne à exercer la prostitution (les lois sur le proxénétisme).
Le jugement Himel
Le jugement Himel soutient que ces trois éléments des lois sur la prostitution ne permettent pas aux femmes de travailler dans un environnement sécuritaire. Par exemple, les femmes ne peuvent pas communiquer clairement sur des questions de sexualité avec un client, notamment à propos de la protection contre les infections transmises sexuellement, puisqu’elles ont peur d’être accusées d’une infraction de communication. Dans un autre cas de figure, les femmes ont l’interdiction de se mettre en équipe et de travailler ensemble dans un même appartement, puisque l’appartement en question serait considéré comme une maison de débauche. De la même manière, les femmes qui vivent avec un(e) conjoint(e) peuvent voir cette personne condamnée à cause des lois sur le proxénétisme qui interdisent de «vivre des fruits» d’une travailleuse du sexe. Ces lois empêchent également les femmes de s’organiser collectivement dans le but d’assurer leur sécurité et leur bien-être : de la constitution d’un syndicat à l’adhésion à une assurance maladie.
La juge Himel, considérant les preuves qui lui ont été présentées, a conclu que les dispositions actuelles du Code criminel créent un contexte dans lequel les femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe font l’objet d’un danger grandissant. Le jugement affirme que les lois existantes relatives à la prostitution causent des méfaits aux femmes puisqu’elles les mettent à risque de subir davantage de violence. Les dispositions actuelles du Code criminel transgressent la Charte des droits : le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.
Ce jugement laisse 30 jours au gouvernement fédéral pour faire appel. Bien que le jugement ait eu lieu en Ontario, il pourrait avoir des répercussions dans d’autres provinces, considérant qu’il remet en question la constitutionnalité de certaines parties du Code criminel lui-même.
Pourquoi nous appuyons cette décision en tant que féministes
• Ce jugement soulève d’importantes questions quant au droit des femmes de contrôler leurs conditions et leur environnement de travail. Considérant que l’échange de services sexuels contre de l’argent n’est pas un acte criminel au Canada, nous appuyons la liberté des femmes de définir les conditions dans lesquelles elles travaillent. Ceci inclut aussi les femmes travaillant dans l’industrie du sexe.
• Nous ne nions pas qu’il puisse y avoir des abus de pouvoir et de la violence au sein de l’industrie du sexe – tout juste comme nous pouvons constater de la violence et des abus de pouvoir dans n’importe quel milieu de travail. Nous pensons que plus les femmes ont du pouvoir sur leurs conditions de travail, plus leur sécurité et leur santé s’accroissent. En tant que féministes, nous avons travaillé pendant des années pour assurer une participation active des femmes à la définition des conditions de travail de leurs vies. Notre engagement à ce principe inclut les femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe.
• Nous appuyons aussi cette décision car en tant que féministes, l’histoire nous dit que ces mêmes lois sur la prostitution ont été utilisées particulièrement contre des communautés marginalisées. Par exemple, une descente a été faite au bar gay Truxx en 1977 à cause des lois sur les maisons de débauche. Ce scénario s’est répété en 1994 lorsque la police de Montréal a effectué une descente au bar gay K.O.X. en affirmant qu’il s’agissait d’une maison de débauche. Vers la fin des années 1990, des établissements échangistes du Montréal métropolitain ont également fait l’objet de descentes à cause des lois sur les maisons de débauche. Les lois qui criminalisent la prostitution permettent à l’État de viser les lieux, les événements et les communautés de ceux et celles qui sont sexuellement marginalisés. En tant que féministes, notre solidarité avec les communautés gaies et lesbiennes nous force à rejeter la criminalisation de la prostitution, parce que les évidences historiques du Canada nous démontrent clairement qu’alors que ces lois sont apparemment utilisées pour « protéger » les femmes, la réalité est plutôt qu’elles sont mobilisées contre les minorités sexuelles en général.
La prostitution n’est-elle pas préjudiciable aux femmes?
Comment les féministes peuvent-elles l’appuyer?

En discutant du débat sur la prostitution et du récent jugement Himel, certaines personnes soutiennent une position selon laquelle la prostitution en elle-même cause préjudice aux femmes. Plusieurs féministes avancent cet argument. La réalité est, en fait, beaucoup plus complexe qu’une telle prise de position. En fait, le jugement Himel est précisément une source d’intérêt pour nous en tant que féministes parce qu’il nous pousse à nous questionner sur la définition du « préjudice » en lui-même. Les lois qui sont désignées comme devant protéger les femmes peuvent aussi leur causer préjudice et cela a été démontré dans les exemples de l’utilisation des lois sur les maisons de débauche contre les communautés gaies et lesbiennes.
De manière similaire, une loi qui empêche les femmes de déterminer leurs propres conditions de travail leur cause préjudice puisque cela diminue leur autonomie et leur pouvoir d’agir. Nous sommes d’accord avec le jugement Himel selon lequel les lois sur la prostitution du Canada leurs sont préjudiciables et que ce préjudice transgresse la garantie de sécurité de la personne assurée par la Charte des droits. La sécurité des personnes assure le droit de vivre sans violence. C’est donc en tant que féministes engagées dans la lutte contre la violence faite aux femmes que nous appuyons le jugement Himel.
Une véritable consultation
Un des apprentissages les plus importants des politiques féministes est la nécessité de consultations authentiques. Les féministes ont soutenu que les femmes doivent avoir le droit de vote si un état démocratique veut affirmer avoir consulté tous ses citoyens. Les féministes travaillistes ont maintenu que les travailleuses doivent être consultées si nous voulons comprendre comment un environnement de travail particulier affecte les femmes. Exactement comme les féministes qui nous ont précédées et qui ont insisté sur l’importance de consulter les femmes, nous soulignons l’importance d’un authentique dialogue avec les femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe. Notre engagement envers les politiques féministes nous demande de parler directement aux femmes qui vivent cette réalité spécifique afin que nous puissions travailler ensemble à l’amélioration de leur situation telle qu’elles la conçoivent.
Recommandations pour les futures actions et réflexions en matière de prostitution :
À l’Institut Simone de Beauvoir, nous nous engageons à :
• soutenir la décriminalisation du travail du sexe au Canada, dans un contexte selon lequel l’échange de services sexuels contre de l’argent ne figure pas dans le Code criminel du Canada;
• protester contre les lois qui causent du tort aux femmes, même si leur intention est de « protéger » les femmes;
• soutenir l’autonomie des femmes à définir leurs conditions de travail, ceci incluant les travailleuses du sexe;
• reconnaître l’expertise des travailleuses du sexe dans notre réflexion sur les sujets qui les concernent;
• travailler en partenariat avec les femmes pour lutter contre la violence. Cet engagement inclut une véritable collaboration avec les travailleuses du sexe afin d’identifier et d’implanter les stratégies qu’elles perçoivent comme étant pertinentes pour contrer la violence exercée contre elles, en tant que femmes, et en tant que travailleuses.
Signé par les membres du personnel enseignant ainsi que les étudiantes et étudiants de l’Institut Simone de Beauvoir, Université Concordia.
> Simone de Beauvoir Institute’s Statement: A Feminist Position on Sex Work – Déclaration de l’Institut Simone-De Beauvoir : une prise de position féministe sur le travail du sexe (PDF)

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