Encore un meurtre d’une travailleuse du sexe, combien d’entre nous devrons mourir avant d’être écoutées ?

Le 30 octobre dernier, le corps d’une escorte était retrouvé ligoté dans le Rhône. Début septembre, c’est le corps d’une travailleuse du sexe découpé en morceaux qui était retrouvé à Evian-les-Bains, en Savoie. En juin, une jeune femme roumaine était poignardée au Bois de Boulogne et son pronostic vital était fortement engagé. Nous ne savons pas si elle a survécu. En début d’année, deux autres travailleuses du sexe été assassinées. D’autres meurtres ont peut-être eu lieu sans que nous en ayons connaissance.

De toute évidence, les violences faites aux travailleuses du sexe ne se sont pas arrêtées avec la pénalisation des clients, bien au contraire. Pourquoi alors lorsque nous alertons sur l’augmentation des violences que nous subissons ne sommes-nous pas écoutées ? Pourquoi la parole des travailleuses du sexe est considérée comme systématiquement « biaisée » et jamais une preuve en soi ? Pourquoi l’augmentation des violences est-elle niée par ceux-là mêmes qui prétendent vouloir nous protéger ?

Nous sommes étonnées qu’au moment même où l’on s’intéresse aux féminicides et aux violences contre les femmes, les meurtres de travailleuses du sexe ou de femmes trans ne soient jamais comptés comme « féminicides ». Ne sommes-nous pas nous aussi des femmes ? Pourquoi nous séparer du reste de la classe des femmes ?

Nous interprétons cette séparation des violences de genre entre celles faites aux femmes mariées et celles faites aux putes comme une volonté de maintenir les travailleuses du sexe à part. Une partie du mouvement féministe a fait le choix stratégique d’assimiler toute forme de travail sexuel à une violence de genre et à une institution patriarcale à abolir, tandis que le couple hétérosexuel reste une institution légitime inattaquable.

Nous pensons au contraire nous situer dans le même continuum des rapports hétérosexuels que les autres femmes. Les maris des unes sont les clients des autres. Nous n’appelons cependant pas à abolir le couple hétérosexuel en le pénalisant. Cette stratégie punitive ne fonctionne pas et ce sont les femmes elles-mêmes qui se retrouvent le plus pénalisées par ces politiques.

Nous appelons en revanche à l’autodéfense, à la prévention et à la réduction des risques. Les travailleuses du sexe s’auto-organisent contre les violences, notamment au travers de cours d’autodéfense féministes, du système d’alerte Jasmine et pour l’accès au droit et à la justice. Nos initiatives ne sont malheureusement jamais soutenues car règne le dogme de l’abolitionnisme et de la « sortie de la prostitution » comme seule et unique réponse politique légitime.

Pourtant, les pouvoirs publics ont compris dans les années 1990 qu’il ne suffisait pas de « lutter contre la prostitution » pour lutter contre le SIDA, et qu’il fallait mettre en place des pratiques de réduction des risques et d’accompagnement à l’activité du travail sexuel.

En ce qui concerne la lutte contre les violences, il est temps que la classe politique comprenne qu’il ne suffit pas de nous exhorter à arrêter notre travail. En faisant cela, elle se rend au contraire coupable de blâmer les victimes, puisque si nous continuons d’exercer le travail sexuel, on nous explique que nous nous exposons nous-mêmes aux violences, et sans doute pensent-ils que nous les méritons.

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