Libération : Assistante sexuelle, un homme comme les autres

Assistante sexuelle, un homme comme les autres

Par THIERRY SCHAFFAUSER représentant élu du Strass (Syndicat du travail sexuel, www.strass-syndicat.org).

Le 4 août dans Libération, nous avons eu la mauvaise surprise de lire un nouvel appel contre la prostitution, de la part des mêmes tenants de son abolition, mais cette fois en utilisant le prétexte du débat amorcé par les mouvements de handicapés qui appellent à une reconnaissance légale des pratiques d’assistance sexuelle. Au lieu de se réjouir de la possibilité d’un tel encadrement, nous avons droit aux mensonges et manipulations habituelles, aux mêmes confusions, aux mêmes diabolisations et dénigrements des travailleurs du sexe et de leurs clients.

L’assistance sexuelle est cependant différente de la prostitution classique en ce qu’elle nécessite une formation spécialisée des travailleurs du sexe pour garantir des gestes de soins spécifiques. On aurait donc espéré que sa reconnaissance légale et professionnelle lui aurait épargné le stigmate de la prostitution. Mais la figure du client handicapé, bien qu’elle contredise tous les discours sur le stéréotype du client «prostitueur» souvent assimilé aux violeurs ou criminels pédophiles, semble suffisamment menaçante aux yeux de nos activistes anti-prostitution.
Premier mensonge, le métier d’assistant sexuel n’a pas vocation à être assuré par une majorité de femmes ni à être exclusivement à destination d’hommes. Ce métier s’adresse à tous les handicapés quels que soient leur genre et leur orientation sexuelle, bien que les auteures de la tribune ne considèrent que la prostitution hétérosexuelle. En Suisse romande qui vient de former ses premiers assistants sexuels, c’est une majorité d’hommes qui vient d’être qualifiée pour ce métier et leur clientèle est composée aussi bien de femmes que d’hommes.
Second mensonge, le «droit à la sexualité» n’implique pas de «devoir sexuel». Les assistants sexuels, tout comme les autres travailleurs du sexe, ne sont pas le cliché de l’esclave et sont encore moins des victimes de la traite qui ne peut exister dans un tel cadre professionnel. Personne ne sera obligé d’exercer ce travail contre son gré, ils le savent très bien, mais ça ne coûte rien d’essayer de faire peur.
Vient ensuite un couplet sur le risque de retour de la femme traditionnelle qu’incarnerait celle qui fournit des services sexuels. La prostituée est ainsi décrite comme «oublieuse de soi, de sa propre sexualité, de ses propres désirs». Cette vision essentialiste et «putophobe» démontre le mépris que les abolitionnistes ont pour les travailleurs du sexe. S’ils nous connaissaient, ils sauraient que non seulement nous avons des compétences non négligeables pour exercer notre travail, mais qu’ils auraient à apprendre de nous et que cela les pousserait à remettre en question leur vision de ce que doit être la sexualité. Nous n’avons pas de leçon de féminisme à recevoir. Pour nous, ce n’est pas juste une théorie de salon, nous l’exerçons tous les jours et dans notre travail, en imposant nos conditions, nos pratiques, nos tarifs, et notre prévention aux hommes. Dans le registre de la peur toujours, nos chers abolitionnistes jouent sur la confusion entre le proxénétisme de soutien et le proxénétisme de contrainte et rappellent que les pays où l’assistance sexuelle existe ont dû décriminaliser certaines formes de proxénétisme. C’est précisément une des revendications des mouvements de travailleurs du sexe partout dans le monde qui en ont assez que, sous des faux prétextes de protection, ces lois servent à dissuader l’exercice de notre travail en criminalisant l’accès au logement, toute transaction économique, et jusque notre vie privée et familiale. S’il s’agissait de nous protéger contre les violences, pourquoi ne pas nous inclure dans le droit commun comme les autres citoyens et travailleurs et obliger la police à assurer notre protection comme le font ces soi-disant pays proxénètes ?
Troisième mensonge, les textes des instances internationales ne se dirigent pas vers plus de criminalisation de la demande mais montrent un certain scepticisme face à ce modèle. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’est lui-même prononcé pour la décriminalisation du travail sexuel et le dernier rapport de l’Unaids a recommandé de ne pas suivre la voie répressive de la Suède et des Etats-Unis. Il préconise au contraire d’adopter une approche dite de reconnaissance des droits humains des travailleurs du sexe, admettant leur existence et leur auto-organisation. De plus, la demande de services sexuels ne crée pas le trafic des femmes comme c’est encore répété sans preuve. La demande de services sexuels a toujours existé tandis que la traite s’est développée seulement ces quinze dernières années. Le nombre de clients tendrait même à avoir diminué, montrant bien un manque de corrélation. Ce qui crée la traite, c’est plutôt le renforcement des mesures anti-migratoires qui obligent les travailleurs migrants les plus précaires, dont les travailleurs du sexe, à accepter des conditions de travail toujours plus dures. La traite et l’exploitation n’existent pas que dans l’industrie du sexe mais dans nombre de métiers, or la demande pour des services sexuels est toujours visée.
La réelle violence contre les femmes est celle issue du système abolitionniste qui, en voulant empêcher l’existence de la prostitution, force les femmes, mais aussi les hommes et les trans’ toujours oubliés au passage, à exercer dans des conditions encore plus précaires et dangereuses, comme c’est le cas en Suède où les travailleurs du sexe sont obligés de passer par des intermédiaires pour organiser la rencontre avec leurs clients. Il est intéressant enfin de constater où sont leurs priorités. Alors que les travailleurs du sexe subissent depuis le 18 mars 2003 la pénalisation du racolage passif, ils préfèrent concentrer leur force contre les assistants sexuels qui ne concernent que quelques centaines de personnes en France.
La France est encore en retard sur ses voisins. Comme lorsque l’avortement était illégal, les plus riches se rendent à l’étranger et les plus pauvres continuent de prendre les risques sanitaires et légaux qu’implique la criminalisation.
http://www.liberation.fr/societe/0101584842-assistante-sexuelle-un-homme-comme-les-autres

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