NOTE DU STRASS SUR LA PREP EN DIRECTION DES TRAVAILLEUR-SE-S DU SEXE.

Suite à une consultation au sein de notre syndicat nous avons pu obtenir différents témoignages. Si certainEs travailleurSEs du sexe ont fait part de leur enthousiasme quant à ce nouvel outil de prévention, nous notons qu’il s’agit plutôt d’hommes gays qui ont déjà des rapports sexuels sans préservatifs et sont déjà informés sur cet outil. Cependant, dans la grande majorité des réponses que nous avons reçues, les travailleurSEs du sexe, en particulier chez les femmes, ont davantage fait part de leurs réserves.

Les principales réserves exprimées sont :

  • La PREP ne protège pas des autres IST : risque de pandémies de maladies moins délétères mais tout autant sérieuses (hépatites, syphilis, etc…)

  • La PREP est perçue comme un outil plus lourd que le préservatif et qu’il est + facile d’oublier

  • Réticence liée à la méconnaissance de ce médicament : pas assez de recul sur les effets à long terme

  • Peur que la PREP entraîne une pression + forte à des rapports sans préservatif. Sachant que cette demande est déjà forte et à la hausse, les travailleurSEs du sexe qui ne désirent pas suivre cette prévention risquent de perdre une partie ou toute leur clientèle, un certain nombre de clients préférant recourir aux services de travailleurSEs sous PREP qui afficheront des services sexuels dit « nature » dans leurs annonces. Ces dernières seront en danger par rapport aux autres IST et les premières en plus grande difficulté économique si le nombre de leurs clients diminue en conséquence.

  • Enfin, il apparait intolérable que ce soit encore sur le/la receveurSE que se porte la responsabilité de la prévention, alors que nous demandons depuis des années des campagnes de sensibilisation et de prévention en direction de nos clients.

S’agissant du contexte :

Le STRASS rappelle depuis des années que le principal facteur de vulnérabilité des travailleurSEs du sexe quant à leur santé notamment sexuelle, est la pénalisation et la stigmatisation de notre travail. Nous estimons que la pénalisation du racolage et la future pénalisation des clients sont des enjeux de santé bien plus importants, et qui ont une incidence bien plus directe sur notre accès aux soins et à la prévention. Les effets de la pénalisation sont un dispersement des scènes de travail sexuel, (de rue comme indoors) et leur maintien dans la clandestinité. La répression fait fortement reculer les acquis de trente ans de santé communautaire, alors même que celle-ci devrait être la priorité du monde institutionnel, médical, et associatif. Avant toute chose, nous demandons donc à chaque instance de se positionner fortement contre la pénalisation.

Il nous parait particulièrement ironique que le gouvernement et les pouvoirs publics fassent la promotion de nouveaux outils comme les TROD1 ou la PREP2 afin de palier aux conséquences néfastes des politiques répressives dont la responsabilité leur incombe. Nous avons déjà exprimé nos réserves sur les TROD car il y a de réels risques pour le maintien de la confidentialité des résultats selon les lieux de travail sexuel où ils sont effectués. Autant nous saluons le travail d’associations comme HF Prévention qui permettent de garantir cette confidentialité lorsque les travailleurSEs du sexe sont isoléEs les unes des autres, tel en forêt de Saint Germain ; autant les TROD ne sont pas forcément adaptés dans un autre cadre où la confidentialité des résultats ne peut pas être garantie.

Selon nous, les pouvoirs publics prennent souvent le problème à l’envers. En accord avec l’avis du CNS de 20103, nous pensons que la cause de notre vulnérabilité au VIH et IST ne réside pas dans l’exercice du travail sexuel en tant que tel, mais dans les conditions de travail qui découlent de la répression et la stigmatisation de celui-ci. A l’heure où le Parlement discute d’une nouvelle proposition de loi qui va interdire l’achat de services sexuels et rendre ainsi de fait cet échange illégal, alors que jusqu’à présent seul le racolage et le proxénétisme étaient pénalisés, nous déplorons fortement que la priorité du monde de la santé et de la lutte contre le sida et les IST ne soit pas de s’opposer à cette criminalisation accrue. Il nous paraitrait plus pertinent que les associations de santé et de lutte contre le Sida jouent un rôle dans les débats politiques sur la pénalisation, que sur ceux ayant pour but de nous inciter à changer nos modes de prévention

La dynamique de l’épidémie chez les travailleurSEs du sexe n’est en effet pas la même que chez les gays. L’usage du préservatif y est beaucoup plus fréquent. Ce n’est pas l’outil de prévention en tant que tel qui nous pose problème car notre but est d’abord économique avant la recherche de plaisir sexuel, et c’est davantage le contexte répressif qui nous fragilise. Il a par ailleurs été démontré chez les hommes travailleurs du sexe, qu’ils utilisaient bien plus fréquemment le préservatif dans les rapports sexuels qu’ils ont dans le cadre de leur travail que dans leur vie privée.4 Nous pouvons en conclure que ce n’est pas l’outil de prévention en tant que tel qui pose problème, car le but économique passe avant la recherche de plaisir sexuel : c’est davantage le contexte répressif qui nous fragilise.

Au lieu de créer les conditions nécessaires à l’accès aux soins et à la prévention pour les travailleurSEs du sexe, les pouvoirs publics préfèrent faire comme si les difficultés d’accès aux soins et à la prévention étaient une situation irrémédiable. Dans cette logique, il s’agit donc d’aller dépister les travailleurSEs du sexe hors les murs des centres de dépistage grâce aux TROD, et ce sans remettre en question les raisons politiques qui font que nous nous éloignons toujours plus des centres villes, que nous avons de moins en moins confiance dans les administrations et services de l’Etat, que ces services ne sont pas toujours accessibles dans les langues parlées par les travailleurSEs du sexe, ou que nous ayons de moins en moins le temps et l’énergie pour nous préoccuper de notre santé. Quand notre priorité est de devoir nous défendre contre des violences policières et des discriminations accrues, la santé passe après.

S’agissant des discriminations et de la stigmatisation, nous trouvons par ailleurs intolérable le fait que notre autodétermination ne soit pas respectée par les services de santé, à commencer par la DGS et le ministère de la santé qui insistent pour nous nommer « PSP » ou « personnes qui se prostituent » alors que nous nous revendiquons « travailleurs et travailleuses du sexe ». Pour rappel, le terme de « travail sexuel » est celui qui est retenu dans les instances internationales de santé et les conférences mondiales sur le sida.

Nous insistons sur ce contexte politique répressif, parce que la répression est directement responsable de l’échec des politiques de santé au sein de notre communauté. Quand la police confisque nos traitements ou nos matériels de prévention, lorsqu’elle utilise la détention de préservatifs comme preuve et élément de caractérisation du délit de racolage, cela a des conséquences directes sur notre santé. Dans ce contexte, comment croire qu’il suffit de proposer la PREP comme nouvel outil ? Quand nous sommes placéEs en garde à vue pendant de longues heures, sans qu’on nous laisse prendre nos médicaments, comment imaginer possible une prise correcte et une bonne observance de la PREP ? Si nos médicaments sont confisqués par la police, comment pouvons-nous suivre un traitement à heure fixe ? C’est ce que subissent déjà les travailleurSEs du sexe séropostiVEs sans que personne ne s’en émeuve. Pour nous, la priorité est d’abord la fin de cette répression et d’assurer que les travailleurSEs du sexe migrantEs qui sont porteurSEs de pathologie graves ne soient plus menacéEs d’éloignement du territoire.

Les nouveaux outils de prévention peuvent être intéressants lorsqu’ils sont utilisés dans de bonnes conditions. Or, au vu des conditions actuelles (et probablement à venir) d’exercice du travail sexuel, nous craignons que la PREP n’aie pas de meilleurs résultats que ce que nous avons déjà obtenu avec le préservatif. L’efficacité de tel ou tel outil de prévention n’étant pas uniquement liée à celui-ci, mais principalement à son contexte d’usage.

Cette logique nous paraît emblématique des paradoxes de l’Etat français à l’égard des travailleurSEs du sexe : d’un côté, c’est à nous d’être individuellement responsables non seulement de notre prévention, mais de celle de nos clients (et via eux, de la société entière), de l’autre, nous sommes considéréEs comme des irresponsables à protéger d’elles/eux-mêmes via des lois qui répriment notre travail. En faisant de la dynamique de l’épidémie et de l’efficacité de la prévention une responsabilité individuelle, cette stratégie ne fait enfin que légitimer le désengagement de l’Etat en ce qui concerne la nécessité de faire de la santé un véritable enjeu public et politique.

La prise de la PREP

L’essai IPERGAY semble plus intéressant que l’essai précédent IPrEx au moins sur un point : celui de la prise du médicament avant un rapport sexuel et non de manière fixe. Cette plus grande possibilité peut aider les travailleurSEs du sexe occasionnelLEs qui savent à l’avance quand ils/elles vont avoir des rapports sexuels : Néanmoins, en ce qui concerne celles et ceux qui travaillent tous les jours, la contrainte reste quotidienne, ainsi certainEs escortes pourraient prendre le médicament juste avant un rendez vous avec un client, la difficulté réside cependant dans la durée à observer avant que l’action du médicament ne fasse son effet. Quand un client demande notre présence dans l’heure qui suit la prise de contact, le délai de temps avant le rapport sexuel sera-t-il suffisant pour que le médicament protège réellement ?

De plus, nous rappelons que la majorité des prises de risques chez les travailleurSEs du sexe se déroulent lors des rapports sexuels qui ont lieu dans la sphère privée, et non pas avec les clients. La PREP peut être un outil intéressant dans ce cadre mais à priori pas dans le cadre du travail pour les raisons évoquées de pression à des rapports non protégés et qui auront une incidence sur l’ensemble de la communauté des travailleurSEs du sexe. Par ailleurs, le préservatif sert parfois de barrière émotionnelle avec les clients et permet de faire la différence entre le travail et la vie sexuelle et affective privée. La PREP ne doit donc pas peser sur l’usage du préservatif qui est plus qu’un outil de prévention dans la communauté des travailleurSEs du sexe, en particulier chez les femmes.

Recommandations

Le travail sexuel doit être dépénalisé dans son ensemble (clients, travailleurSEs du sexe, famille et entourage, tierces parties).

Les associations de santé communautaires doivent être soutenues dans leur travail et leur financement doit être assuré.

La PREP est un outil intéressant pour les personnes refusant ou n’utilisant pas de préservatifs. La grande majorité des travailleurSEs du sexe souhaitant utiliser les préservatifs, nous ne pensons pas que la PREP soit pour l’instant recommandable à touTEs les travailleurSEs du sexe.

En complément du préservatif, la PREP peut rassurer les travailleurSEs du sexe en cas de rupture de celui-ci. Mais la PREP ne protégeant pas des IST autres que le VIH, ni d’une grossesse : l’usage du préservatif reste plus que nécessaire.

Un traitement quotidien non choisi serait trop lourd et inefficace du fait d’une mauvaise observance. Ce programme doit donc toujours rester sur la base du volontariat, et ne jamais devenir obligatoire pour les travailleurSEs du sexe.

La PREP doit rester un choix personnel et un complément à l’outil déjà existant du préservatif. Afin que les travailleurSEs du sexe conservent le choix de leur prévention, il ne faut pas que la PREP devienne la seule option possible du fait d’un abandon généralisé du préservatif. C’est une vraie crainte (que nous espérons infondée), mais qui doit être prise en compte dans les futures campagnes de prévention.

Si la PREP peut être proposée aux travailleurSEs du sexe qui ont déjà des rapports sexuels sans préservatifs ou en complément du préservatif, les clients doivent être incités à l’utilisation des préservatifs afin de ne pas pénaliser les travailleurSEs du sexe très majoritaires qui préfèrent cet outil de prévention. Des campagnes de prévention doivent être menées en direction des clients pour le port du préservatif afin de ne pas créer une pression négative contre l’usage de ceux-ci, et pour que la PREP reste un choix non contraint économiquement.

La PREP doit être accessible gratuitement tout comme les préservatifs et les gels, et délivrée avec un accompagnement médical afin d’être correctement informé et évaluer de possibles contre-indications.

Les travailleurSEs du sexe intérésséEs par la PREP doivent être correctement informéEs des risques qu’elles et ils encourent concernant les autres IST. Ils et elles doivent être correctement informéEs sur la bonne prise et observance de ce médicament notamment sur les délais d’attente à observer avant un rapport sexuel.

Les travailleurSEs du sexe suivant la PREP doivent avoir accès à un bon suivi de soins de santé et une offre adéquate de dépistage ainsi que la fourniture gratuite de préservatifs lorsqu’ils/elles prennent la PREP en complément de ceux-ci.

1 Dépistage rapide hors les murs
2 Traitement comme prévention pour les séronégatifs

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